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Chaque époque a sa folie et son ridicule ; en littérature nous avons déjà assisté (et trop aidé peut-être) à bien des manies ; le démon de l’élégie, du désespoir, a eu son temps ; l’art pur a eu son culte, sa mysticité ; mais voici que le masque change ; l’industrie pénètre dans le rêve et le fait à son image, tout en se faisant fantastique comme lui ; le démon de la propriété littéraire monte les têtes et paraît constituer chez quelques-uns une vraie maladie pindarique, une danse de saint Guy curieuse à décrire. Chacun s’exagérant son importance, se met à évaluer son propre génie en sommes rondes ; le jet de chaque orgueil retombe en pluie d’or. Cela va aisément à des millions, l’on ne rougit pas de les étaler et de les mendier. Avec plus d’un illustre, le discours ne sort plus de là : c’est un cri de misère en style de haute banque et avec accompagnement d’espèces sonnantes. Marot, tendant la main au Roy pour avoir cent escus dans quelque joli dizain, y mettait moins de façon et plus de grace[1].

Sur ce point comme sur presque tous les autres qui touchent à la littérature, il ne s’élève pourtant aucun blâme, aucun rire haut et franc : la police extérieure ne se fait plus. La littérature industrielle est arrivée à supprimer la critique et à occuper la place à peu près sans contradiction et comme si elle existait seule. Sans doute pour qui considère les productions de l’époque d’un coup d’œil complet, il y a d’autres littératures coexistantes et qui ne cessent de pousser

  1. Plaise au Roy ne refuser point
    Ou donner, lequel qu’il voudra,
    À Marot cent escus apoinct,
    Et il promet qu’en son pourpoint
    Pour les garder ne les coudra…

    Je conseille de relire les dizains charmans au Roy de Navarre :

    Mon second Roy, j’ay une haquenée, etc. ;

    et à la Royne de Navarre :

    Mes créanciers, qui de dizains n’ont cure, etc.

    Dans l’épître au Roy pour avoir esté desrobé, il épuise tous les tours et toutes les gentillesses de la requête ; il ne ressemble pas à tant de gens insatiables, dit-il, il ne veut plus rien demander :

    Mais je commence à devenir honteux
    Et ne veux plus à vos dons m’arrester ;
    Je ne dy pas, si voulez rien prester,
    Que ne le prenne ........
    Et savez-vous, Sire, comment je paye ?
    ..............