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comme d’un débordement. Il semble qu’on n’ait pas affaire à un fâcheux accident, au simple coup de grêle d’une saison moins heureuse, mais à un résultat général tenant à des causes profondes et qui doit plutôt s’augmenter.

Lorsqu’il y a tout à l’heure dix ans, une brusque révolution vint rompre la série d’études et d’idées qui étaient en plein développement, une première et longue anarchie s’ensuivit ; dans cette confusion inévitable, du moins de nouveaux talens se produisirent ; les anciens n’avaient pas péri ; on pouvait espérer dans un ordre renaissant une marche littéraire satisfaisante au cœur et glorieuse. Mais voilà qu’en littérature, comme en politique, à mesure que les causes extérieures de perturbation ont cessé, les symptômes intérieurs et de désorganisation profonde se sont mieux laissé voir. Je m’en tiendrai ici à la littérature.

Sous la restauration on écrivait sans doute beaucoup et de toute manière. À côté de quelques vrais monumens, on produisait une foule d’ouvrages plus ou moins secondaires, surtout politiques, historiques. L’imagination n’était guère encore en éveil que chez les talens d’élite. À cette quantité d’autres écrits de circonstance et de combat, une idée morale, une apparence de patriotisme, un drapeau donnait une sorte de noblesse et recouvrait aux yeux du public, aux yeux des auteurs et compilateurs eux-mêmes, le mobile plus secret. Depuis la restauration et au moment où elle a croulé, ces idées morales et politiques se sont, chez la plupart, subitement abattues ; le drapeau a cessé de flotter sur toute une cargaison d’ouvrages qu’il honorait et dont il couvrait, comme on dit, la marchandise. La grande masse de la littérature, tout ce fonds libre et flottant qu’on désigne un peu vaguement sous ce nom, n’a plus senti au dedans et n’a plus accusé au dehors que les mobiles réels, à savoir une émulation effrénée des amours-propres, et un besoin pressant de vivre : la littérature industrielle s’est de plus en plus démasquée.

Pour ne pas s’effrayer du mot, pour mieux combattre la chose, il s’agit d’abord de ne se rien exagérer. De tout temps, la littérature industrielle a existé. Depuis qu’on imprime surtout, on a écrit pour vivre, et la majeure partie des livres imprimés est due sans doute à ce mobile si respectable. Combinée avec les passions et les croyances d’un chacun, avec le talent naturel, la pauvreté a engendré sa part, même des plus nobles œuvres, et de celles qui ont l’air le plus désintéressé. Paupertas impulit audax, nous dit Horace, et Le Sage écrivait Gil Blas pour le libraire. En général pourtant, surtout en