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tions badines auxquelles se livraient, dans les fêtes solennelles, les pâtres, les moissonneurs et les vignerons ; mais cette licence fescennienne, ces personnalités rustiques étaient trop contraires au tempérament politique de Rome, pour subsister longtemps. Les premiers écarts de la comédie naissante furent arrêtés dès l’an 302 par un article de la loi des Douze Tables, qui condamnait à la peine du fouet tout auteur de vers diffamatoires. Cette infamante pénalité, qui fut modifiée, mais non pas abrogée, par plusieurs lois subséquentes[1], paraît n’avoir en rien gêné les poètes satiriques Lucilius, Varron, Horace, Juvénal, Perse, Martial ; mais elle fut plus efficace contre les saillies de la scène.

Vers l’an 519, un poète né dans la Campanie, et dont l’éducation avait été plus grecque que romaine, Nœvius, crut pouvoir introduire sur le théâtre de Rome quelque chose de la liberté de la vieille comédie d’Athènes. Soutenu par les tribuns[2] et par le parti populaire, il essaya de transporter les rostres sur la scène. Dans un fragment de sa Tarentilla, il se rend ce témoignage : « Un roi même pourrait-il nier les vérités que j’ai établies sur le théâtre, aux applaudissemens de tous les spectateurs ? Celle-ci, par exemple : Combien la servitude ne l’emporte-t-elle pas à Rome sur la liberté[3] ! »

Par malheur pour Nœvius, il ne s’en tint pas à ces généralités démocratiques ; malgré la loi des Douze Tables, et une loi plus récente qui défendait de louer ou de blâmer sur la scène aucun personnage vivant[4], il ne craignit pas d’attaquer les plus illustres membres de l’aristocratie romaine, les Scipions et les Métellus[5] ; ce qui prouve que les édiles ne censuraient pas alors les pièces de théâtre, ou que les édiles de cette année-là partageaient les passions politiques de Nœvius. Ce poète fut traduit devant les triumvirs, condamné et jeté dans une prison, où il demeura assez long-temps pour composer deux comédies, dans lesquelles il faisait, dit Macrobe, amende honorable des traits injurieux répandus dans ses pièces précédentes. Ce dernier fait est au moins douteux ; car, ayant obtenu sa liberté par l’intervention des tribuns, Nœvius fut, suivant Eusèbe, exilé peu de temps après à Utique, où il mourut.

  1. Entre autres, par les lois Valeria, Portia et Sempronia.
  2. Aul. Gell., lib. III, cap. III.
  3. Nœvius, ap. Charis., in Quanti et quantum, Instit. gramm., lib. II, pag. 192, ed. Pusch.
  4. August., De civit. Dei, lib. II, cap. IX.
  5. On possède quelques vers que les Métellus firent en réponse au poète campanien. Il est triste que cette famille n’ait pas borné là sa vengeance.