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DE LA MISE EN SCÈNE CHEZ LES ANCIENS.

blable et imaginaire. Pour préserver les masques de tout soupçon de ressemblance, on recourut à des types d’une excessive laideur, de peur, dit un ancien, que s’ils n’eussent été que médiocrement laids, on eût voulu y reconnaître quelques rois de Macédoine[1]. Eh bien ! malgré tout cet ensemble de précautions et de réformes, les fragmens qui nous restent des poètes de la comédie nouvelle sont encore tout remplis de piquantes personnalités. Ici c’est Callimédon, fameux comme orateur et plus encore comme gourmand[2] ; là, c’est Ctésippe, le dissipateur, qui ne dévora pas seulement le sol, mais les pierres même de son patrimoine[3] ; ailleurs, c’est Diodore, ce vaurien qui a fait en deux ans une pilule de son bien paternel et l’a avalée impudemment[4].

Les hommes publics ne furent guère plus ménagés que les particuliers. Ménandre, empruntant un vers à Euripide, dit dans ses Adelphes : « Une loi antique commande de respecter ceux qui gouvernent[5]. — Mais ajoute-t-il, il ne faut pas céder aux méchans. Résistons-leur avec courage, sinon notre vie entière serait bouleversée[6]. »

Lui-même pratiqua ces principes de généreuse résistance et de liberté. Dans sa comédie des Pêcheurs, il prit parti pour les exilés d’Héraclée contre Denys, tyran débauché de cette ville[7]. Il plaisanta même de quelques-uns des vices d’Alexandre[8], mais vraisemblablement après la mort de ce prince. Philémon livra à la risée publique Magas, roi de Cyrène, frère de Ptolémée Philadelphe[9]. Phénicide de Mégare se moqua en plein théâtre des articles secrets d’un traité passé entre Antigonus et Pyrrhus. Et qu’on ne dise pas que ces poètes ne s’attaquaient qu’à des princes morts ou étrangers.

  1. Platon., De Different. comœd.
  2. Callimédon est bafoué par tous les poètes de la moyenne et de la nouvelle comédie.
  3. Menand., In Ira, ap. Athen., lib. IV, pag. 166, A, B. — Mot sanglant, qui rappelle que ce fils dégénéré avait vendu pierre à pierre le tombeau élevé à la mémoire de son père Chabrias par la reconnaissance des Athéniens. Athen., ibid. pag. 165, E.
  4. Alex., ap. Athen., ibid., pag. 165, D. — Alexis a répété la même plaisanterie contre Épichéride dans son Phèdre. Ibid., pag. 165, E.
  5. Euripid., Fragm., tom. II, pag. 441, ed. Musgr., Leips.
  6. Menand., ap. Stob., tit. XLIV.
  7. id., ap. Athen., lib. XII, pag. 549, C, et ap. Meinek., pag. 10, seq.
  8. id., ap. Athen., lib. X, pag. 434, C, et ap. Meinek., pag. 99.
  9. Philem., Fragm. incert., 50, ed. Meineke. — Philémon, se rendant à la cour d’Égypte, fut jeté par une tempête sur les côtes de la Cyrénaïque, et tomba au pouvoir du monarque offensé, qui se vengea heureusement en homme d’esprit. Plutarch., De ira cohibend., pag. 458, A.