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prendre place dans les concours solennels[1], fut frappée d’un décret de complète interdiction[2] ; mais cette mesure extrême, qui blessait à la fois l’esprit public, les habitudes et même le culte national, fut révoquée, moins de trois ans après, sous l’archonte Euthymène.

Plus tard, les intrigues d’Alcibiade ayant fait substituer à la démocratie le gouvernement oligarchique de quatre cents citoyens, la liberté du théâtre fut gravement restreinte par deux décrets portés la 1re  année de la 92me  olympiade, sous l’archonte Callias. Le premier de ces décrets, rendu sur la motion du poète dithyrambique Cinésias, supprima les parabases[3], allocutions mordantes où le poète, par la voix du chœur, et quelquefois par la sienne, exposait directement et sans voile ses pensées sur les affaires de l’état. Le second, rendu à l’instigation d’Alcibiade[4], et sur la proposition d’un mauvais orateur, nommé Syracusius, traité de bavard par Eupolis et comparé à une pie par Aristophane, défendait d’attaquer par son nom aucun citoyen sur la scène[5].

L’année suivante, les quatre cents ayant été renversés et remplacés par le gouvernement des cinq mille, le théâtre recouvra en partie ses franchises, comme on peut en juger par les Thesmophoriazousai et la Lysistrata d’Aristophane, jouées cette année-là même, et par les Grenouilles du même poète, qui remportèrent le prix sur une comédie toute politique de Platon le comique, intitulée Cléophon[6], la 3me  année de la 93me  olympiade, la dernière de la brillante période théâtrale que les grammairiens ont appelée la comédie ancienne.

Jusqu’ici, comme on voit, le théâtre d’Athènes eut à subir plusieurs tentatives de répression légale, mais rien qui ressemblât à des entraves préventives, rien qu’on puisse comparer à la censure.

Nous trouvons, il est vrai, l’idée de censure à l’état de théorie dans Platon. Il était naturel que cet écrivain qui, à l’exemple de Solon,

  1. Aristot., De Poetic.
  2. Ψήφισμα τοῦ μὴ κωμῳδεῖν. V. Schol. In Aristoph. Acharn., v. 67, et Suidas, qui rapporte cette scholie sans changement. — Th. Bergkius (ap. Fritzschium, Aristoph. Quæst., tom. I, pag. 317) et Aug. Meineke (Hist. crit. Com. Græc., pag. 40, n. 20) croient à tort qu’il faut entendre μὴ κωμῳδεῖν, comme s’il y avait de plus ὀνομαστὶ. — Le savant M. Boeckh (Die Staatswirths. der Athen., tom. I, pag. 345) a confondu le décret d’abolition porté sous l’archonte Morychidès avec celui qui restreignit plus tard la comédie, sur la motion d’Antimachus.
  3. Schol. In Aristid. Ran., v. 153 et 406. — Platon., De different. Comœd., pag. XXXIV. — L’auteur anonyme de la vie d’Aristophane place ce décret un peu avant la seconde représentation du Plutus, à la 97me  olympiade.
  4. Schol., In Aristid., pag. 444, ed. Dind. — Th. Bergkius, Loc. Laud.
  5. Aristoph. Av., v. 1297, et Schol., ibid.
  6. Argum. Ran.Schol., In Aristoph. Ran., v. 690. — Suid., voc. φιλοτιμότερος.