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CENSURE DRAMATIQUE.

D’abord, il est certain que Solon, qui trouvait si dangereuse la tragédie telle que la créait Thespis, et qui s’opposa de tout son pouvoir à l’admission de cette nouveauté dans les solennités publiques, ne songea pas à en atténuer les inconvéniens par la censure. Le drame de cette époque resta justiciable des simples lois répressives, témoin Phrynichus condamné à l’amende pour avoir mis sur la scène un sujet qui blessait l’orgueil national, la Prise de Milet par Darius, et, plus tard, Eschyle, Aristophane, Euripide, forcés de défendre devant la justice plusieurs passages de leurs pièces. Cette application du droit commun aux délits de la scène exclut toute idée de censure préalable.

Grace à ce régime de liberté, la comédie politique put naître, grandir et jeter, à ses risques et périls, cet éclat sans égal qui fait encore aujourd’hui une partie de la gloire attachée au nom d’Athènes.

On se tromperait toutefois si l’on s’imaginait que les poètes de l’Attique pouvaient s’abandonner, sans entraves, à l’impulsion souveraine de leurs passions bonnes ou mauvaises. Il n’en était pas ainsi. Pour être accepté comme tragédodidascale ou comédodidascale par un chorège et par une tribu, on devait non seulement satisfaire le goût et l’imagination du chorège et de la tribu, auxquels on demandait un chœur ; il fallait, de plus, être avec eux en parfaite communauté de sentimens religieux et politiques. Quand le bon sens ne nous suggérerait pas cette assertion, nous en trouverions la preuve formelle dans un passage d’Aristophane, où les citoyens qui composaient le chœur, font acte public d’adhésion aux sentimens politiques de leur poète : « Spectateurs, dont l’esprit est orné de tous les dons des Muses, dit le chœur des Chevaliers, prêtez votre attention à nos anapestes. Si un de nos anciens comédodidascales nous eût demandé de paraître sur le théâtre, il ne l’eût pas aisément obtenu ; mais l’auteur de cette comédie mérite notre faveur ; il partage toutes nos haines ; il ose dire ce qui lui paraît juste, et il affronte courageusement l’orage et la tempête[1]. »

À l’assentiment de la majorité d’une tribu le poète devait joindre l’autorisation du premier ou du second archonte ; mais l’autorité très démocratique elle-même de ces magistrats paraît n’avoir en rien

  1. Aristoph., Equit., v. 501, seqq.