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comédodidascale d’avoir obtenu un chœur. Quand il avait été choisi par une tribu et un chorège, il n’était encore parvenu qu’à la moitié de sa tâche ; il fallait, de plus, que le choix du chorège et de la tribu fût confirmé par l’archonte.

Nous ne savons qu’imparfaitement dans quelles limites se renfermait cette nouvelle juridiction. Seulement l’archonte, qui n’était pas intéressé au succès du poète au même degré que le chorège et la tribu, fut souvent accusé de partialité et d’injustice. Cratinus dit dans sa comédie des Bouviers : « Lorsque Sophocle demandait un chœur, il l’a refusé ! Il a préféré Cléomachus, dont je ne voudrais pas, moi, pour didascale aux fêtes d’Adonis[1] ! »

On voit que l’archonte n’avait pas seulement un droit de veto sur le choix des tribus ; il intervenait directement dans l’élection des poètes. Le texte de Cratinus ne contient pas, il est vrai, le mot archonte, et l’absence de ce mot pourrait nous induire à croire, avec Casaubon, qu’il est ici question d’un chorège ; mais le chorège ne pouvait pas s’opposer par sa seule volonté au choix d’un poète, et, ce qui lève tous les doutes, une scholie conservée par Hesychius nous apprend que Cratinus s’est moqué, dans les Bouviers, d’un archonte dont il n’avait pu obtenir un chœur[2], c’est-à-dire, qui n’avait pas ratifié le choix fait par une tribu.

On voit que cette expression antique recevoir un chœur, qui était d’une exactitude littérale, quand les chœurs composaient presque tout le drame, continua d’être employée lorsqu’ils n’en furent plus que l’accessoire. Cette locution survécut même à la choragie, et on la trouve encore en usage, quand il ne restait plus dans les républiques grecques que le peuple, c’est-à-dire l’état, pour faire, en qualité de chorège, les frais des concours scéniques. Dans ce dernier système, toute l’autorité théâtrale appartint forcément au premier magistrat, demeuré seul arbitre du sort des poètes. Ce régime, funeste au génie dramatique, avait été dès l’origine celui des contrées doriennes, où la choragie n’existait pas, et il passa en partie à Rome.

En effet, quand Livius Andronicus fit ses premiers emprunts dramatiques à la Grèce, le théâtre d’Athènes avait perdu depuis longtemps l’usage habituel de la choragie. Les chœurs scéniques, au lieu de citoyens sortis librement des tribus, n’offraient pour l’ordinaire que des comparses étrangers, soldés comme les autres acteurs par

  1. Athen., lib. XIV, pag. 638 F.
  2. Hesych., voc. Πῦρ παρεγχεί.