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dont il est responsable ; de même le fondateur et le type vivant de la royauté persane, Djemschid, commande à tous les êtres : « Il était ceint de la splendeur royale, et l’univers entier se soumit à lui ; le monde était calme et sans discorde, et les divs, les oiseaux, les péris lui obéirent. » Quand Kaioumors marcha contre le div noir, « il rassembla les péris, et, parmi les animaux féroces, les tigres, les lions, les loups et les léopards ; c’était une armée de bêtes fauves, d’oiseaux et de péris, sous un chef plein de fierté et de bravoure. » Rien n’est plus majestueux que cette royauté primitive, dont l’autorité, égale et semblable à celle de Dieu même, commande à la création tout entière.

Le gigantesque, trait dominant de l’imagination orientale, est un caractère fréquent de la poésie de Firdousi. Il dira des approches d’une bataille : « D’un côté était le feu, de l’autre l’ouragan ; l’étendard de Kaweh était porté devant eux, et le monde en reçut un reflet jaune, rouge et violet. La face de la terre, couverte de cette multitude, était agitée comme un vaisseau quand s’élèvent les vagues dans la mer de la Chine. Les boucliers couvraient les boucliers dans les plaines et sur les montagnes, et les épées étincelaient comme des flambeaux ; le monde entier était devenu comme une mer de suie au-dessus de laquelle auraient flotté cent milles lampes. On aurait dit que le soleil s’était écarté de sa voie, effrayé du son des clairons et du bruit de l’armée. » Et, pour exprimer la grandeur du carnage : « Le sang rejaillit jusqu’à la lune. »

Ces métaphores colossales dégénèrent souvent en exagérations tellement démesurées, qu’elles approchent du ridicule. Les héros élèvent leurs tentes jusqu’aux nuages ; le butin entassé occupe tant de place que la flèche d’un archer ne pourrait passer par dessus. D’autres fois leur bizarrerie n’est pas sans grace : « Toute l’armée, avec ses lignes de combat et avec le bruit de ses timbales, était ornée comme une fiancée… Tu aurais dit que c’était un banquet, tant résonnaient les clairons et les trompettes. La plaine devint comme une mer de sang ; tu aurais dit que la face de la terre était couverte de tulipes. » On ne peut exprimer l’effusion du sang par une image à la fois plus hardie et plus gracieuse. Ailleurs on trouve ces paroles : « La nuit vint, le ciel fut comme un jardin dont les roses étaient des étoiles. » Il semble qu’on lit des vers cultos de Caldéron, tant la poésie castillane a été fidèle au génie de la poésie orientale.

Dans certains passages on retrouve un délire d’hyperboles que peut seule enfanter l’imagination effrénée de l’Orient : « Les épées qui étincelaient comme des diamans, les lances qui s’échauffaient dans le