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précédé ont presque entièrement péri. Son nom est de nos jours l’objet de la plus profonde vénération, et celui de ses devanciers est à peu près oublié. Telle est la distance infinie que l’exécution met entre les ouvrages du même genre. Mais, évidemment, l’intention de Firdousi a été semblable à celle de ses prédécesseurs : il a voulu, comme eux, raconter la tradition. Il le dit positivement en une foule d’endroits ; il cite l’autorité du livre ou celle des dihkans. M. Mohl cite dans sa préface ce passage décisif : « Maintenant, dit Firdousi, je vais conter le meurtre de Rustem, selon un livre écrit d’après les paroles des siens : Il y avait un vieillard nommé Agad Zerv, qui demeurait à Merv, chez Ahmed, fils de Sahl ; il possédait le Livre des Rois, il avait le cœur plein de sagesse, la tête pleine de souvenirs, et la bouche remplie de vieilles traditions. Il tirait son origine de Sam, fils de Heriman, et parlait souvent des combats de Rustem. Je vais conter ce que j’ai appris de lui. »

On voit, par ce qui précède, comment la tradition qui fait la base du Schah-Nameh, née des souvenirs et de l’intérêt populaires, a survécu à la nationalité persane, et s’est suscité des organes et des interprètes partout où quelque chose de cette nationalité survivait encore ou tentait de renaître. Passons maintenant à l’histoire de celui qui était destiné à immortaliser ce qu’avaient conservé jusqu’à lui les siècles.

Firdousi naquit à Thous, vers le milieu du Xe siècle[1], à une époque où l’Occident était plongé dans une profonde barbarie. À Paris, quelques moines écrivaient en mauvais latin des proses rimées, et pendant ce temps vivait dans la ville de Thous, aujourd’hui détruite, celui qui devait être un des plus grands poètes de l’univers.

Né d’une famille de dihkans, Firdousi semblait voué par sa naissance au culte des traditions nationales ; une éducation littéraire, la connaissance de l’arabe, celle du pehlwi, rare alors dans la Perse orientale, le préparèrent aux compositions et aux succès poétiques. De bonne heure il s’était exercé à composer des chants héroïques, et il avait environ trente ans quand mourut Dakiki, celui que le sultan Mahmoud avait chargé de mettre en vers l’ancien Livre des Rois, écrit en pehlwi par Danischwer. Firdousi éprouvait un ardent désir de continuer cette œuvre interrompue. Lui-même nous a ra-

  1. La date précise de la naissance de Firdousi n’est indiquée nulle part ; M. Mohl, par un calcul très habile, l’a fixée à l’an 329 de l’hégire.