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LOPE DE VÉGA.

commença et acheva dans l’espace des quatre mois que dura l’expédition. Il trouva le sujet, ou, pour mieux dire, le motif de ce poème dans un passage du Roland furieux, où l’Arioste, parlant des aventures de la belle Angélique, annonce qu’il en réserve une partie pour un autre poème. C’est ce poème que Lope a voulu faire, comme pour tenir la promesse de l’Arioste. Il suppose que c’est en Espagne et chez les Arabes, déjà maîtres du pays, que se passent celles des aventures d’Angélique qu’il veut chanter, ce qui lui fournit un moyen facile de rattacher le sujet de son poème à l’histoire de la conquête arabe de l’Espagne.

L’ouvrage ne manque pas de beaux détails, et le ton de l’Arioste y est même parfois assez heureusement saisi. Il ne faut néanmoins pas chercher entre ce poème et le Roland furieux, des ressemblances, ni même des analogies profondes. L’Arioste était un poète d’un sens trop droit et trop élevé pour prendre au sérieux, au XVIe siècle et en Italie, les traditions chevaleresques, traditions dès-lors vieillies, dénaturées et dépaysées ; mais il sut, à l’aide de cette teinte légère de doute et d’ironie dont il les revêtit, leur donner les développemens les plus merveilleux. Lope a pris son sujet au sérieux ; il ne pouvait guère faire autrement, dès l’instant où il mettait en jeu les sentimens et les intérêts espagnols ; mais il n’a donné à son poème ni la gravité de l’épopée historique, ni la grace fantastique des fictions de l’Arioste.

Lope de Véga entra, vers la fin de septembre 1588, à Cadix, avec les débris de la grande flotte. Montalvan semble dire qu’il revint dès-lors à Madrid ; mais cette indication est impossible à concilier avec ce que Lope nous dit expressément et plus d’une fois, que son exil dura sept ans. Il faut donc nécessairement supposer qu’il mena quelque temps encore, en Espagne, une vie errante, qui du reste ne lui déplaisait pas trop, si l’on en juge par ce qu’il en dit. Il y avait encore à cette époque, dans le caractère espagnol, des restes prononcés de ce goût d’entreprises et d’aventures, contracté dans des guerres et des conquêtes lointaines ; et l’on trouve, dans les allusions de Lope à l’endroit de son exil, des traits qui me semblent rentrer dans ce goût-là. Ainsi, il parle de traverses qu’il recherchait, de courses d’exilé qu’il aimait, de voyages dont il était idolâtre ; il s’attribue des goûts sauvages, des inclinations extravagantes, ennemies de la raison. Sans prendre à la lettre de telles expressions, il faut bien leur attribuer un sens, et je ne saurais les interpréter autrement. Il y a donc tout lieu de croire qu’avant de rentrer définitivement à Madrid,