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LOPE DE VÉGA.

entendait passablement le français. Il ne dit rien du portugais ; mais, à l’époque dont il s’agit, tout Castillan lettré savait cet idiome comme le sien propre, et Lope ne fit pas exception.

Ces études qui, comme on voit, étaient encore assez loin d’être complètes, furent brusquement interrompues par la mort presque simultanée de son père et de sa mère. L’héritage paternel ne l’aurait point rendu riche, mais il aurait pu suffire aux besoins les plus urgens de sa situation : Lope en fut dépouillé par on ne sait quel personnage qui, on ne sait pas davantage à quel titre, en enleva ce qu’il put, et l’emporta en Amérique. Lope de Véga resta de la sorte à l’âge de treize ou quatorze ans, sans conseil, sans appui et sans moyens de continuer ses études. Il avait bien un frère et une sœur, l’un et l’autre un peu plus âgés que lui, mais dont aucun ne pouvait l’aider. Sa sœur n’était encore qu’une jeune fille non établie, et qui avait elle-même grand besoin de protection ; quant à son frère, il servait probablement dès-lors dans les milices espagnoles, et courait le monde avec elles, de sorte que Lope n’en obtint pas même l’unique secours qu’il en pût naturellement espérer, quelques bons avis et quelques tendres paroles. Ce ne fut, selon toute apparence, que des parens éloignés qu’il se trouvait avoir à Madrid, qu’il reçut des marques d’intérêt ou des encouragemens, désormais si nécessaires pour lui.

Charmé d’abord de l’indépendance que lui assurait la mort de ses parens, Lope se pressa d’en jouir, et le premier usage qu’il en fit, est un trait de caractère à noter dans sa vie, un trait qui annonçait bien l’empire que son imagination allait exercer sur toutes ses déterminations. Pris soudainement de la curiosité de connaître et de voir le monde, il résolut de le parcourir en long et en large, sans s’inquiéter beaucoup du point où il s’arrêterait. Il lui fallait un compagnon pour un si grand voyage ; il eut bientôt gagné à son projet un de ses camarades d’université, un certain Hernando Muñoz, dont il paraît que l’imagination sympathisait beaucoup avec la sienne.

Après s’être bien concertés et bien entendus, les deux jeunes voyageurs ramassèrent à la hâte tout l’or, tout l’argent, tous les objets précieux dont ils pouvaient disposer pour la dépense commune ; cela fait, ils partirent gaiement à pied et sans autres augures que le désir de se voir bien loin de Madrid. Arrivés à Ségovie, ils y firent halte ; puis, ayant acheté un bon roussin pour les porter eux et leur bagage, ils poursuivirent leur route par Lavañeza, et poussèrent jusqu’à Astorga. Là ils firent halte de nouveau et purent se communiquer à loisir les réflexions et les découvertes que chacun d’eux venait de