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lui supposer d’autre motif, pour une fiction de si peu d’importance que le plaisir de rappeler le nom de sa vallée natale.

Ce fut le père de notre poète, Félix de Véga, qui, las de vivre pauvre et obscur dans ses montagnes, ou peut-être entraîné par l’amour, abandonna son solar de la Véga pour se transporter, avec sa famille, à Madrid. On raconte que Félix, ayant eu occasion de voir, dans les Asturies, une dame de Madrid, s’en éprit vivement, et la suivit quand elle retourna en Castille. Mais il était pour lors déjà marié ; et son épouse, doña Francisca Fernandez, noble et fière Asturienne, n’était pas femme à se laisser ravir son bien sans le disputer. Elle se mit en toute hâte à la poursuite du fugitif, le rejoignit à Madrid, et l’eut bientôt reconquis sur sa rivale. Dans les vues de la destinée, cette réconciliation était un évènement : la naissance de Félix Lope de Véga Carpio en fut le fruit.

Il naquit le 25 novembre 1562, à Madrid, près de la porte de Guadalajara, dans une maison qui fut long-temps signalée à la curiosité des étrangers. Il fit ses premières études dans sa ville natale. On raconte du développement précoce de son intelligence des choses qui tiendraient du prodige, si elles avaient été bien observées et rapportées exactement. À en croire ce qu’en dit Montalvan, l’un des mieux informés de ses admirateurs et de ses amis, la faculté de réfléchir aurait devancé en Lope celle de parler, et il n’aurait pu répéter ses leçons qu’à l’aide de gestes et de signes. Dès l’âge de cinq ans, il aurait parfaitement entendu, non seulement l’espagnol, mais le latin, et il aurait montré un goût passionné pour les vers. Il en aurait fait long-temps avant d’être capable de les écrire, obligé, pour en avoir des copies, de les dicter à des camarades plus âgés que lui, auxquels il aurait abandonné, pour prix de leur peine, une partie de ses déjeuners. Lope lui-même semble, du moins en ce qui concerne le goût des vers et la précocité de son talent poétique, confirmer ces témoignages de Montalvan : il dit quelque part que, sachant à peine parler, il écrivait, sous la dictée des Muses, des vers qu’il compare aux premiers piaulemens de l’oiseau dans son nid.

Mais si l’on rapproche ces prodiges supposés des études enfantines de Lope et les résultats connus de ses études universitaires, on ne trouve, dans ceux-ci, rien d’extraordinaire, rien qui confirme les premiers. Ce que Lope apprit à l’université d’Alcala de Henarès, où il fut envoyé à l’âge de dix ans, il nous le dit lui-même. Il y apprit le latin à fond ; mais il n’alla guère au-delà des élémens du grec. Quant aux idiomes modernes, il avait fait une étude approfondie de l’italien et