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Mais même en supposant que le droit de dégrèvement sur cette matière appartint exclusivement aux chambres, le ministère ferait encore bien d’engager sa responsabilité en cette circonstance. Il s’agit de nos colonies, de notre industrie maritime, de la conservation de notre marine marchande. Ce sont là d’assez grosses questions pour entraîner une administration à prendre l’initiative, sauf à demander un bill d’indemnité à ceux qui estiment que le sucre colonial étant matière fabriquée, il n’appartient qu’à la chambre de diminuer le poids de la taxe qui pèse sur elle. Le ministère vient d’obtenir des fonds pour l’amélioration de nos ports, il s’est plaint amèrement de la diminution de l’inscription maritime, il s’occupe d’augmenter nos ressources navales, et vient d’ordonner l’armement des vaisseaux qui stationnaient dans les bassins de Brest et de Toulon : comment cette sollicitude pour notre marine peut-elle se concilier avec l’abandon de nos colonies ? Est-ce le moment de discuter sur le plus ou moins de légalité d’une mesure que personne de ceux qui sont désintéressés dans la question n’a déclarée illégale dans la chambre ? Il est évident qu’en ajournant le dégrèvement, la chambre a voulu en laisser la responsabilité au ministère. La législature essaie malheureusement quelquefois de ce moyen timide de se ménager les électeurs, et de ne pas risquer sa popularité. Le ministère ne peut que gagner dans la chambre en n’imitant pas cette faiblesse. Elle lui saura gré d’avoir de la résolution pour elle, et au moins le cabinet aura mis sa conduite en harmonie avec les principes qu’il a exposés ? Se décidera-t-il enfin à prendre un parti ? Vouloir une marine royale redoutable, c’est vouloir une marine commerciale florissante, et ce n’est pas en faisant pousser l’herbe sur les quais de nos ports marchands, qu’on se ménagera des matelots pour nos flottes. S’il est vrai que le gouvernement ait pris une résolution nette en ce qui concerne l’Orient, il serait en voie de faire flotter haut le pavillon de la France. Est-ce le moment de faiblir dans une question qui intéresse au plus haut degré nos colonies et nos principaux ports ? Les forces maritimes qui se concentrent à Brest et à Toulon, ont crû et se sont formées au Havre, à Nantes, à Marseille et à Bordeaux ; l’amiral Baudin, qui vient d’ajouter une si belle page à nos fastes maritimes, exerçait, il y a peu d’années, la profession de capitaine au long cours. Enfin, qu’on jette un coup d’œil sur l’Angleterre, dont les flottes parcourent le monde entier, dont les troupes débarquent dans l’Asie centrale, sur les bords du golfe Persique et de la mer Rouge, pour ouvrir des ports marchands à son pavillon de commerce, et qu’on se demande ensuite si le moment est bien choisi pour fermer à nos armateurs notre plus régulier débouché, celui des Antilles ?

Une brochure publiée, il y a quelque temps, par M. le baron de Romand, a soulevé toute la presse légitimiste. La presse légitimiste a trouvé mauvais que M. de Romand ait fait un appel aux hommes modérés de son parti, et leur ait montré l’abîme qu’il y a entre eux et le parti républicain, avec lequel les légitimistes ont fait cause commune dans les élections. M. de Romand leur a demandé s’il était bien sensé, bien patriotique, de mettre ainsi tout l’état social en péril, pour payer tribut à leurs souvenirs politiques ; car ce n’était pas ainsi, sans doute, qu’ils comptaient mettre leurs principes en pratique. M. de Romand a montré là, selon nous, un grand souci de la considération de son parti, car nous n’hésitons pas à le dire, et nous le faisons en connaissance de cause, ce qui lui a porté le plus d’atteinte en Europe, c’est justement cette association des hommes les plus attachés au principe de la monarchie, au