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REVUE. — CHRONIQUE.

escadres pour forcer Méhémet-Ali à rendre la flotte ottomane. Cette proposition a été convertie, dit-on, par le cabinet français, en une mesure plus conciliante, et qui a été agréée à Londres. Les deux cabinets se borneraient à déclarer à Méhémet-Ali qu’ils regarderaient toute tentative de tourner la flotte ottomane contre le gouvernement turc, comme un attentat à la paix de l’Europe, et ils se borneraient à cette injonction. De la sorte, il n’y aurait pas lieu à bloquer le port d’Alexandrie, et à faire partir de l’amirauté quelques ordres semblables aux ordres de teneur pacifique adressés autrefois à l’amiral sir Édouard Codrington, et en marge desquels le duc de Clarence avait écrit « Ned, brûlez-moi tous ces coquins-là. »

Nous croyons le gouvernement anglais plus éclairé que les journaux anglais et que feu le duc de Clarence ; c’est pourquoi nous sommes disposés à croire que l’accord règne aujourd’hui entre la France et l’Angleterre sur la conduite à tenir en Orient. Un second Navarin, et il eût été inévitable si les escadres française et anglaise eussent voulu arracher de vive force la flotte turque à Méhémet-Ali, un second Navarin n’eût rien terminé en Orient. Une telle mesure serait si peu favorable aux intérêts de l’Angleterre, que la Russie serait venue volontiers l’aider dans cette œuvre de destruction. Sans attaquer les forces navales de Méhémet-Ali, la France et l’Angleterre peuvent l’empêcher d’accepter le commandement des forces ottomanes, s’il est vrai que cette proposition lui ait été faite par Akiff-Effendi au nom du jeune sultan. Deux grandes puissances, telles que l’Angleterre et nous, n’ont pas besoin de parler la torche à la main pour faire prévaloir leur influence, et les dépêches suffiront en pareil cas ; car Méhémet-Ali sait bien quelles forces maritimes stationnent maintenant aux Dardanelles. Si le cabinet français a réellement repoussé les propositions de l’Angleterre, on doit reconnaître qu’il a compris le rôle qui appartient à la France, en cette circonstance du moins. Il s’agissait d’abord d’éloigner les forces anglaises d’Alexandrie où une tentation dangereuse pouvait s’emparer des Anglais ; il fallait marcher avec l’Angleterre et non la suivre, obéir à l’intérêt commun, qui est la paix de l’Europe, et non se plier aux exigences des ressentimens commerciaux et politiques de nos alliés, et le refus de s’associer à la démonstration proposée par le cabinet anglais est un acte qui doit être approuvé.

Le cabinet anglais peut voir avec déplaisir Méhémet-Ali, sorti de la manière la plus inopinée des embarras que lui préparait le sultan Mahmoud, demander aujourd’hui plus qu’il n’eût exigé avant les derniers évènemens, c’est-à-dire l’hérédité de l’Égypte avec celle de la Syrie et de Candie. Méhémet-Ali prétend maintenant que le sultan Mahmoud lui avait proposé, par l’entremise de Sarkim-Effendi, l’hérédité de la Syrie, de l’Égypte, du Said, et du sandjak de Tripoli. Il faudrait savoir à quelle époque ; mais, après tout, qu’importe ? Le principal est que le sultan Abdul-Medjid n’est guère en état de refuser les demandes de Méhémet-Ali, et que ces demandes sont fondées sur une sorte de droit. La France aussi voyait avec déplaisir enlever à la Belgique le Limbourg et une partie du Luxembourg, et ses motifs tenaient à d’impérieuses nécessités, à la défense de ses frontières, et la France cependant n’a pas mis d’opposition à la volonté des puissances, quand elle a vu que l’Angleterre lui demandait aussi cette concession. Disputer à Méhémet-Ali les résultats presque légitimes de sa victoire, ce serait remettre en question la situation entière de l’Orient, et la France ne pourrait donner les mains à une entreprise pareille. Il restera