Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/582

Cette page a été validée par deux contributeurs.
578
REVUE DES DEUX MONDES.

ration désirable. Il est vrai que l’inépuisable charité vient en aide au zèle qui dirige. Chaque année, les donations volontaires ajoutent en propriétés foncières, meubles, rentes ou argent, une valeur de quelques millions au patrimoine des institutions secourables. De 1814 à 1835, en vingt-deux ans, le capital donné, tant aux hospices qu’aux bureaux de bienfaisance, s’est élevé à 75,070,464 f. ; encore ce chiffre est-il seulement le total des sommes données par acte public, et dont l’acceptation doit être délibérée en conseil d’état, et il serait beaucoup grossi par l’adjonction des petites sommes qui peuvent être reçues sans autorisation.

Pour compléter cet aperçu, il faudrait apprécier le concours prêté aux établissemens publics par les fondations particulières, par celles qui sont annexées à beaucoup de paroisses et desservies par des sœurs, par les dispensaires que soutiennent des cotisations privées, comme ceux de la société philanthropique de Paris qui, depuis 1805 jusqu’à ce jour, a traité plus de 82,000 malades et vendu 22 millions de rations avec une perte volontaire évaluée à 1,100,000 fr. Il faudrait énumérer toutes les sociétés qui se forment depuis quelques années et poursuivent obscurément leur but charitable : celle de la Miséricorde, qui se voue à la recherche des pauvres honteux ; la réunion de ces jeunes gens de Paris, qui, sous le titre d’amis des pauvres, s’efforcent de procurer aux nécessiteux des occasions et des instrumens de travail ; les veilleurs charitables de Lyon, pauvres ouvriers pour la plupart qui, après les fatigues de la journée, vont passer la nuit au chevet d’un malade, pauvre ainsi qu’eux ; et aussi, les associations qui se vouent à l’aumône morale, qui s’insinuent dans la confiance du malheureux par de petites libéralités, afin de mieux redresser sa conduite et ses penchans. Ce serait ici le lieu de rappeler que les publications, dictées dans l’intérêt des classes souffrantes, se multiplient d’une façon très significative, et qu’ordinairement ceux qui ont à produire quelque plan utile, donnent l’exemple des sacrifices.

Mais pourrait-on jamais compléter le tableau de la bienfaisance ? Les traits les plus touchans ne demeurent-ils pas humblement voilés ? Il est passé en habitude de déplorer les ravages de l’égoïsme : qu’on se rassure. La contagion sévit en quelques lieux apparens, mais il s’en faut bien qu’elle soit générale. Ne vous hâtez pas de condamner l’arbre pour quelques branches desséchées et flétries qui attristent les regards. Sous l’écorce dégradée, une élaboration se fait. Il y a nombre de veines où court encore une sève féconde, et il ne faudrait qu’un souffle généreux et puissant, qu’un rayon venu d’en haut pour déterminer une soudaine et magnifique efflorescence.

Nous le répétons, si les classes populaires ont encore beaucoup à désirer, c’est que le secret des grandes améliorations, des réformes fondamentales, appartient encore à l’avenir. S’il n’y a pas des secours pour toutes les détresses, un baume pour chaque douleur, c’est que le dévouement, si ingénieux qu’il soit à se multiplier, ne peut suffire à combler l’abîme ; c’est que manquent les moyens matériels, et non le zèle inspiré, non la pieuse énergie.


A. Cochut