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DES CLASSES SOUFFRANTES.

gente et réduite à l’impuissance de se suffire, soit par suite d’un désastre public, soit par des infirmités morales ou physiques. Jusqu’à ce qu’on ait adopté la recette souveraine de Malthus, qu’on laisse les malades se tordre sur leur grabat, et les affamés tomber d’inanition dans la rue, il faudra bien que les gouvernemens maintiennent, pour l’indigence proprement dite, une administration spéciale de secours. Cette administration se divise, chez nous, en deux branches : secours à domicile pour les valides, et hospitalité passagère ou permanente pour les invalides. Le premier service est exercé par les bureaux de bienfaisance, au nombre de 6,275 pour toute la France. Leur dotation, formée par les produits de leurs biens patrimoniaux, par des dons volontaires, par la taxe prélevée sur les spectacles et autres divertissemens, par une portion dans les amendes de police, et au besoin par une subvention prise sur les revenus communaux, a fourni, en 1833, un total de 10,315,745 francs. Les secours qui consistent en fournitures alimentaires, vêtemens, combustible et argent, ont atteint la somme de 7,399,156 francs, auxquels il faut ajouter l’énorme somme d’environ 1,800,000 francs pour frais de gestion. 695,632 pauvres ont participé aux distributions. La moyenne de la subvention obtenue par chacun d’eux a donc été de 10 fr. 64 cent., et pour l’ensemble des dépenses de plus de 13 fr. À Paris, le secours est en général plus fort. Le recensement des indigens s’y fait tous les trois ans[1]. En 1838, il s’en est trouvé 58,500, ou 1 sur 15 habitans.

S’il est vrai, comme l’a dit sir Arthur Young, que les hôpitaux, affranchissant le peuple de la prévoyance, sont d’autant plus nuisibles qu’ils sont plus riches et mieux administrés, notre pays est fort à plaindre ; car chaque année voit s’ouvrir de nouveaux refuges à ceux qui souffrent. Depuis un demi-siècle, le nombre des établissemens hospitaliers a presque doublé en France, et leurs revenus se sont accrus dans une proportion beaucoup plus forte que celle des malades. Les derniers documens officiels datent de 1833 ; on comptait à cette époque 1329 hôpitaux et hospices. Au 1er janvier de cette même année, ils servaient d’asile à 154,253 individus, et, jusqu’à l’année suivante, 425,049 personnes y furent admises. Le budget de leurs recettes montait alors à 51,222,063 francs, c’est-à-dire au vingtième environ du budget que réclame l’état pour acquitter la dette publique, assurer la défense du territoire, rémunérer tous les services, entretenir, en un mot, la vie sociale. En 1837, Paris seulement pouvait offrir 4,464 lits pour les malades, et 10,129 places pour les vieillards, les incurables et les enfans. De nouvelles fondations, qui ne sont pas encore réalisées, ne tarderont pas à porter le nombre des lits disponibles à plus de 17,000. Non-seulement le nombre des personnes admises au traitement gratuit augmente, mais les soins sont en général plus empressés et plus intelligens, et aucun sacrifice ne coûte assez pour empêcher une amélio-

  1. Il est à remarquer qu’en trois ans, de 1835 à 1838, la population de Paris s’est accrue de 129,027 individus, et qu’au contraire le chiffre des indigens s’est affaibli de 4,039. Ce résultat est dû sans doute à la vigilance qu’on déploie pour repousser la fausse indigence. On ne peut toutefois y méconnaître un symptôme favorable pour la classe ouvrière.