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fuit au contraire le nécessiteux. C’est là un fait fatal, déplorable, et contre lequel la meilleure volonté est impuissante.

Aujourd’hui le pauvre n’a d’autre garantie à offrir que celle des effets mobiliers qu’il possède. Il ne peut donc emprunter que sur nantissement. Cette triste nécessité est la justification des Monts-de-Piété, institution qu’on a décriée avec une légèreté qui va jusqu’à l’injustice. On en compte en France 32. L’intérêt exigé varie de 4 à 18 pour 100, différence énorme, qui provient de ce qu’en certaines localités l’établissement prête sur ses propres fonds, tandis qu’ailleurs il est obligé d’emprunter à des conditions plus ou moins onéreuses. Il faut remarquer toutefois que la somme demandée à l’emprunteur est moins le loyer du capital que le remboursement des frais inévitables de régie. Or, ces frais, qui consistent en prisées, emmagasinage, comptabilité, reventes, etc., sont les mêmes pour un objet de la plus mince valeur que pour un diamant précieux ; et comme la retenue n’est calculée que sur le total de la somme prêtée, lorsque le prêt est minime, et c’est l’ordinaire, cette administration, qu’on accuse de spéculer sur les besoins du pauvre, subit réellement une perte. Un aperçu des opérations du Mont-de-Piété de Paris fera mieux comprendre cette assertion. Chaque fois que l’administration accepte un nantissement, elle débourse pour frais de régie une somme de 73 centimes, et souvent la rétribution exigée de l’emprunteur, quoique de trois quarts pour 100 par mois, ou de 9 pour 100 par an, reste inférieure à cette somme. Par exemple, en 1836, sur un total de 1,210,669 engagemens, près des trois quarts, ou 879,795 objets, estimés de 3 à 12 francs, et sur lesquels l’administration a prêté 4,882,876 francs, ont produit en intérêts, pour sept mois et vingt jours, terme moyen des dépôts, la somme de 283,870 francs. Or, les frais de régie, à raison de 73 centimes par article, ont exigé une dépense de 642,243 fr. : l’administration a donc fait une perte réelle, un véritable don aux emprunteurs les plus pauvres, de 358,372 fr. C’est seulement sur les prêts qui de 12 fr. s’élèvent quelquefois jusqu’à 12,000, que l’établissement se dédommage, parce qu’alors il place à 9 pour 100 l’argent qu’il obtient à 3, et sans autres déboursés pour frais de régie que 73 c., comme pour le plus modeste dépôt. Une contribution est donc ainsi frappée sur les objets de luxe pour affranchir autant que possible ceux du pauvre. À Reims, des dons volontaires, ajoutés aux fonds du Mont-de-Piété, permettent à l’établissement de prêter au plus modique intérêt. À Toulouse, une société de prêt charitable et gratuit, fondée en 1828, prête une faible somme, relativement à la valeur du nantissement, mais sans aucune retenue, même pour ses déboursés. La quotité de ses prêts varie de 3 fr. à 150, et la moyenne est de 50 à 60 francs. Mille individus reçoivent annuellement ses services. Le capital est fourni par des donateurs généreux et par des actionnaires qui s’engagent à verser pendant dix ans 500 francs par année, et sans en tirer intérêt. Une maison de prêt désintéressé existe aussi à Montpellier.

Nous l’avons dit, la charité préventive, fût-elle aussi clairvoyante qu’énergique, disposât-elle des plus abondantes ressources, ne parviendrait pas à étouffer complètement la misère. Il y aura toujours et partout une classe indi-