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DES CLASSES SOUFFRANTES.

nom traditionnel qui ne s’applique plus guère aujourd’hui qu’à des enfans de l’Auvergne. Ceux de Paris, au nombre de plus de 700, reçoivent d’une institution spéciale, non seulement du pain et des vêtemens, mais les premiers élémens de l’éducation, et les moyens d’oublier au plus tôt, dans un métier moins rude, les fatigues de leur premier âge. Un intérêt tout particulier a dû s’attacher aux jeunes filles moralement orphelines. Des associations qu’il serait trop long de désigner ici, les arrachent pieusement au vice qui ne manquerait pas d’en faire sa proie. Étrange siècle que le nôtre ! époque de paradoxe et de contradiction ! Les sociétés dites secrètes courent les rues à main armée ; leur organisation et leur but sont connus de chacun ; mais les autres sociétés qui ne conspirent que le soulagement de l’humanité, qui s’en occupe ? Qui connaît celle des Jeunes Économes ? Son but est d’offrir un appui aux jeunes filles pauvres, de leur procurer un état, et, s’il se peut, un mariage convenable. Formée à Lyon parmi les jeunes demoiselles de la classe riche, cette association n’a pas tardé à se propager dans les autres villes. Aujourd’hui elle compte à Paris environ 4,000 demoiselles qui ont adopté 233 jeunes filles de huit à dix huit ans, et qui fournissent à une dépense annuelle de 200 francs par tête, sans compter les lits et les trousseaux.

La société, en ouvrant des écoles, n’accomplit pas une charité, mais un devoir. Cependant les sacrifices qu’elle s’impose pour répandre gratuitement l’instruction, doivent être comptés au nombre de ceux qui ont pour but le soulagement des classes souffrantes. Rappelons donc ici que 54,000 écoles primaires reçoivent 1,553,000 garçons et près de 1,100,000 filles ; que les frères de la doctrine chrétienne, au nombre d’environ 1,600, donnent l’instruction élémentaire à plus de 101,000 écoliers ; que sur 18,000 dames ou sœurs engagées dans les congrégations religieuses, près de la moitié se consacrent aux fonctions de l’enseignement, et joignent souvent à l’apprentissage intellectuel celui d’un état utile ; que l’instruction est gratuitement offerte à tous les âges, à toutes les classes, même en dépit des obstacles naturels, puisque, par exemple, la France seule possède 32 écoles de sourds-muets, sur les 147 qu’on connaît dans le monde.

La société a reçu l’enfant du pauvre, préparé son développement physique, éveillé en lui les puissances de l’esprit : elle a racheté autant que possible les capricieux arrêts de la destinée. Que peut-elle faire encore pour le pauvre devenu homme ? Lui assurer l’emploi de son intelligence et de ses forces, augmenter pour lui les chances d’émancipation. Tels sont les termes d’un programme qui est à l’ordre du jour ; mais jusqu’ici la discussion, quoique fort animée, a été stérile. L’étincelle lumineuse jaillira-t-elle enfin du choc des idées ? Conciliera-t-on une organisation obligatoire du travail avec la liberté du travailleur, cette conquête toute récente que nos pères n’ont pas cru pouvoir payer trop cher ? À moins de saper la société par la base pour la réédifier sur un plan tout nouveau, comment communiquera-t-on à celui qui n’apporte en naissant d’autre valeur que celle de ses bras, les priviléges attachés à la fortune ? Par exemple, le crédit, qui de sa nature court au-devant du riche,