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la bienveillance nationale cette unité, ce caractère de grandeur qu’elle imprimait à toutes nos institutions, forma dans son sein un comité chargé de présenter un système de secours publics, digne d’elle-même aussi bien que du peuple qu’elle représentait. À la suite d’une enquête solennelle, le rapporteur de ce comité, le duc de La Rochefoucaud-Liancourt, développa un large plan appuyé sur ce principe que le soulagement de l’infortune est un devoir de la société, et que ce devoir est rigoureux, absolu. — « Tel qu’il avait été conçu, dit avec justesse M. de Gérando, ce plan était à peu près inexécutable, en raison de sa grandeur même, ainsi que l’expérience l’a trop bien prouvé. Il n’en constitua pas moins le monument le plus majestueux que le patriotisme, la philanthropie et les lumières aient élevé parmi nous à la science qui préside aux établissemens de charité. » — L’élan fut ainsi donné. Depuis un demi-siècle, les études spéculatives ont été si persévérantes, et, ce qui vaut mieux encore, les essais de réalisation si fréquens, que la plus sèche énumération nous jetterait hors des limites de notre cadre. D’ailleurs les noms qui ont acquis de l’autorité viendront d’eux-mêmes se placer dans le cours de notre analyse.

II. — des caractères de l’indigence.

La vieille locution qui assimile une société au corps humain n’est jamais plus juste que dans le sujet qui nous occupe. Des souffrances dans une partie du corps social jettent le trouble dans toute l’économie, de même qu’une douleur locale dérange toute l’organisation humaine. La même méthode de traitement est à suivre dans les deux cas. Il faut étudier profondément les symptômes du mal, afin d’en saisir la cause et de l’attaquer dans ses effets. Dès-lors, la première question à résoudre est celle-ci : Qu’est-ce que l’indigence ? C’est, répondrons-nous, la privation des choses qui sont strictement nécessaires pour vivre dans l’état de société.

Mais la somme des besoins varie suivant les climats et les mœurs. Il faut à l’habitant du nord une alimentation solide, et la rigueur du froid l’oblige à des dépenses de vêture que n’exigerait pas un ciel plus clément. L’indigent anglais, assisté par la paroisse, ne saurait se passer de sa tasse de thé et des accompagnemens d’usage, ce qui serait du luxe pour les petits marchands de Paris. Dans notre pays même, d’un département à l’autre, la limite qui sépare le superflu du nécessaire se déplace. Parfois aussi, ce qu’on a coutume d’appeler des besoins factices, certaines règles de bienséance, certains appétits moraux deviennent des nécessités impérieuses et même respectables. Ainsi, un gîte honnête, une mise décente et en rapport avec les habitudes du lieu qu’on habite, sont aussi indispensables que le pain et l’air qui entretiennent le mécanisme vital. Il ne serait pas sans inconvéniens pour une société de laisser amortir, même dans ses membres les plus inférieurs, ce sentiment des convenances, cette dignité naturelle qui peuvent ennoblir la misère même. Ces petites ambitions qui se développent simultanément dans toutes les classes, loin de mériter la désapprobation qu’elles ont encourue de la part des philosophes