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keaouli semble chercher à s’aveugler sur la dépendance où le tient sa sœur, et pendant qu’il se livre à la dissipation d’une vie toute matérielle, Kinao gouverne, ou plutôt les missionnaires règnent en son nom.

Au reste, les rouages du gouvernement sont on ne peut plus simples. Le roi ordonne, et les sujets obéissent sans que les lois du souverain aient besoin de commentaires. Aujourd’hui, ce pouvoir absolu n’est que très peu tempéré par les dispositions des missionnaires, qui se sont plus attachés à la propagation de leur religion qu’au bien-être temporel du peuple. Les réglemens introduits par eux sont exclusivement religieux ; cependant ils se sont constamment opposés à toutes les mesures qui, en donnant de la sécurité aux étrangers, pouvaient les engager à former dans le pays des établissemens considérables de commerce et d’agriculture.

Sous le roi, des gouverneurs administrent les différentes îles. Ce sont de hauts et puissans seigneurs, soumis de nom seulement à l’autorité du souverain, pour le compte duquel ils perçoivent la capitation ; mais une bien faible partie des valeurs reçues va à Honolulu. Il serait peut-être difficile d’obtenir des comptes ; Kouakini, par exemple, est aussi souverain à l’île d’Owhyhee que Kauikeaouli lui-même ; cependant l’autorité royale est partout reconnue. Il y a quarante ans, la haute puissance de Tamea-Mea comprimait toutes les idées d’indépendance qui pouvaient menacer l’intégrité de sa couronne ; aujourd’hui, l’union des missionnaires et leur accord dans toutes les mesures nécessaires au maintien de cette unité de pouvoir produisent le même résultat. Il y a donc peu d’apparence qu’il survienne, du moins dans un avenir rapproché, des révolutions qui changent la forme du gouvernement des îles Sandwich ; il est facile toutefois de prévoir quelle sera l’issue de la lutte qui s’est engagée entre les missionnaires et les résidens européens. Quelques efforts que fassent les premiers pour éloigner ce moment, le jour viendra, je n’en doute pas, où le nombre des étrangers, en augmentant à mesure que s’accroîtront les ressources du pays, paralysera toutes les mesures des missionnaires, et ouvrira ces contrées à un système d’administration plus large et plus productif.

J’ajouterai quelques mots sur les lois qui régissent aujourd’hui les îles Sandwich, et sur l’administration de la justice. Le code d’Hawaii contient dix articles. C’est une espèce de commentaire du décalogue, ou plutôt la loi naturelle amplifiée et dénaturée par la civilisation. Chaque délit est puni d’un temps plus ou moins long d’emprisonnement ou de travaux forcés ; mais il n’en est aucun qui ne puisse être racheté pour une somme plus ou moins forte. Le meurtre avec préméditation seul n’admet pas de compensation en argent et est puni de mort ; cependant la préméditation peut être si facilement écartée, que la loi devient illusoire : elle fait payer 200 piastres (1000 francs) la vie d’un homme, et tout homme pouvant disposer de 50 piastres peut commettre un viol. On voit que la morale publique n’est pas taxée très haut. Du reste, la part de la civilisation dans ce code n’est pas ce qu’il contient de plus moral.

Il y a trois juges à Honolulu, et un juge dans chaque district : ils vivent du