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maladie dont m’ont parlé plusieurs médecins européens établis depuis longtemps à Honolulu. Cette maladie, qui s’est introduite dans l’île depuis dix ans environ, attaque les femmes en couches, et en enlève six au moins sur dix. Elle s’annonce par des boutons blancs au bord des lèvres ; peu à peu ces boutons gagnent l’intérieur de la gorge, l’estomac, les viscères ; elle commence ordinairement huit ou dix jours avant l’accouchement, et se termine presque toujours par la mort de la femme et de son enfant. Mais quelles que soient les causes qui déciment la population des îles Sandwich, n’est-ce pas une chose surprenante et affligeante à la fois que partout où la civilisation s’est trouvée en contact avec l’état sauvage, ce contact soit devenu mortel pour les populations qu’il devait régénérer ? Partout se sont présentés les mêmes effets, quoique les causes fussent différentes. Fanatique et sanguinaire au Pérou et au Mexique, envahissante aux États-Unis, religieuse et mystique aux îles Sandwich, partout où la civilisation a pénétré, les populations ont disparu devant elle. Que sont devenus ces peuples indiens qui couvraient les vallées de l’Amérique espagnole ? La civilisation les a tués ; à peine en rencontrez-vous aujourd’hui quelques vestiges dans les classes les plus abjectes de la société. Que reste-t-il, dans les vallées de l’Ohio, du Missouri, du Mississipi, de ces nombreuses tribus qui en habitaient les forêts ? Le voisinage des blancs les a fait disparaître, et bientôt on se demandera si ces nations ont jamais existé. Il en sera de même aux îles Sandwich, la population s’éteindra avant d’être civilisée, soit par cette horrible mortalité qui la ronge, soit parce qu’elle se fondra avec les migrations d’Europe et d’Amérique. C’est cette fusion qu’il faut se hâter d’opérer par tous les moyens possibles, et pour cela il faut donner au pays des lois sages, il faut appeler l’industrie, encourager l’agriculture, favoriser le commerce. Voilà par quels moyens on peut arracher cette malheureuse population à l’état de marasme qui paralyse en elle les principes vitaux. Si l’on ne se hâte, avant peu il n’y aura plus personne à civiliser aux îles Sandwich, si ce n’est les civilisateurs eux-mêmes.

Le gouvernement des îles Sandwich est monarchique et absolu ; il a subi de grandes modifications depuis la découverte. Autrefois, chacune des îles qui composent le groupe connu sous le nom d’îles Sandwich ou Hawaii était gouvernée par un chef particulier, indépendant de ses voisins ; ces divers souverains étaient presque continuellement en guerre ; enfin Tamea-Mea, héritier de la souveraineté de l’île d’Owhyhee, commença cette série de conquêtes qui le rendirent roi absolu de toutes les îles Sandwich.

Tamea-Mea était doué d’un grand talent d’observation et surtout d’une persévérance remarquable ; il reconnut bientôt quel puissant secours il pouvait trouver chez les Européens, qui commençaient alors à visiter ces îles, et son premier soin fut d’en attacher plusieurs à son service. À sa mort, qui eut lieu en 1819, son fils Rio-Rio monta sur le trône ; quelques symptômes d’insurrection se manifestèrent à Atooï, mais ils furent immédiatement comprimés par la présence de Rio-Rio qui, seul avec un compagnon dévoué, tra-