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LES ÎLES SANDWICH.

sont généralement grands et bien faits, leurs cheveux sont noirs et longs, rarement frisés ; les femmes sont plus petites et sont loin d’avoir les formes aussi belles que les hommes ; cependant elles sont assez gracieuses. Les hommes ne portent généralement pas de barbe ; on en voit dont les cheveux sont blonds, soit qu’ils les aient teints au moyen de la chaux, ce qu’ils font souvent, soit aussi peut-être que cette couleur provienne d’un mélange de races. Les chefs semblent former une classe à part par l’élévation de leur taille et leur embonpoint ; mais cette différence ne peut être attribuée, je crois, qu’au genre de vie qu’ils mènent. Je remarquai la beauté de leurs dents et la petitesse de leurs pieds. Presque tous les chefs et les hommes âgés me parurent s’être conformés, cependant, à l’ancien usage qui obligeait les hommes et les femmes à se faire sauter une ou deux dents de devant à la mort d’un père, d’une mère, d’un ami ou d’un chef. Je n’ai rencontré que très peu de cas de difformité ; c’est une remarque, d’ailleurs, qui a été faite chez toutes les nations sauvages : libres dans leurs allures et leurs vêtemens, elles ne sont pas exposées à ces accidens qui, chez nous, ont quelquefois pour les enfans des conséquences si fâcheuses.

Le caractère des naturels est doux, timide, gai, fin et observateur ; ils sont généralement très rieurs : lorsque nous étions mouillés dans la baie de Ke-ara-Kakoua, le bruit qu’ils faisaient à l’entour du navire me rappelait le vacarme que j’avais souvent entendu dans les forêts de l’Amérique méridionale, lorsque tous les arbres autour de moi étaient couverts d’une armée de aras et de perroquets ; cependant ils me parurent plus posés et moins causeurs lorsque je les revis à terre. Je remarquai qu’un heureux changement s’était opéré dans le caractère de cette population. Cook représente les naturels comme des voleurs très habiles, et parle des précautions infinies et presque toujours inutiles qu’il était obligé de prendre pour soustraire à leur convoitise les objets susceptibles d’être dérobés. On nous dit, et nous pûmes nous en convaincre par nous-mêmes, qu’il ne restait plus de traces de cette mauvaise disposition ; nous n’eûmes pas à nous plaindre d’un seul vol, et cependant les naturels auraient eu mille occasions de nous voler, s’ils en avaient eu le désir. Lors de notre excursion à Ke-ara-Kakoua, nous fûmes obligés, pour débarquer, de nous jeter à l’eau et de déposer sur le sable nos vêtemens mouillés. Rien n’y manqua lorsque nous les reprîmes ; pourtant nous étions entourés de cent naturels, hommes et femmes, et il y avait là bien des objets qui devaient les tenter. Il m’arriva même qu’ayant laissé tomber une boucle d’argent dans le sable sans m’en apercevoir, un Indien qui l’avait trouvée me l’apporta en courant.

Chaque famille vit dans sa case et cultive son champ de taro ; les femmes partagent avec les hommes les soins de l’agriculture, préparent la nourriture de la famille, et font les tissus qui servent à la vêtir. Les hommes passent la plus grande partie de leur temps à pêcher du poisson ou des coquilles dont ils trouvent le débit sur les bâtimens qui entrent en relâche ; il y a des jours réclamés par le roi ou les chefs pour la culture de leurs terres ; ces jours-là, les pirogues sont tabou ; dès la veille, elles ont été tirées sur le rivage, et la baie est déserte, Ces occupations sont loin cependant d’employer tout leur temps,