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La simple jeune fille introduit le docteur dans la gloire des anges ; l’ignorance rachète la science. Faust participe au bonheur des élus ; le dogme de la rédemption des ames est mis en œuvre, et le poème se dénoue au point de vue du catholicisme.

Quels que soient les développemens immenses que le poète donne à son œuvre, le sujet de Faust tient de la légende. On a beau faire, là est son point d’unité ; il en est sorti ; après des divagations sans nombre, il y retournera. Il faut que le drame se termine comme il a commencé, dans le ciel, au milieu des splendides imaginations de la hiérarchie catholique. Il est vrai de dire que Goethe en agit assez librement avec le dogme, et prend peu de souci de traiter la chose en père de l’église. Qu’est-ce, en effet, qu’un catholicisme qui admet qu’une aspiration incessante vers un bien vague et mystérieux, qu’une activité sans trêve (rastlose Thâtigkeit) puisse, au besoin, tenir lieu de la foi à la parole divine, à la révélation, au Verbe ? Théologie éclectique, théologie de poète, où le néoplatonisme d’Alexandrie se marie au panthéisme de l’Allemagne, où les idées de Platon, d’Iamblique, de Spinoza, de Hegel et de Novalis se confondent et tourbillonnent, atomes lumineux, dans le rayon le plus pur et le plus chaud du soleil chrétien. Au XIVe siècle, Dante eût infailliblement mis Faust en enfer, ou tout au moins en purgatoire, et encore le vieux Gibelin aurait-il, en ce dernier cas, cru donner à son personnage une singulière preuve de mansuétude. Ici une difficulté se présente : comment le philosophe sortira-t-il du labyrinthe où le poète s’est engagé à travers les sentiers du catholicisme ? Par le dogme ? Vraiment, il ne le peut, lui qui, en proclamant ce principe, que l’ame humaine peut trouver son salut autre part que dans un attachement inviolable à la parole révélée, a rompu en visière avec l’orthodoxie ; force lui est, pour se tirer d’affaire, d’ériger en système sa conviction intime, son point de vue personnel, et de mettre pour un moment la métaphysique à la place de la théologie. Or, c’est là, selon nous, un fait curieux, et qui mérite bien qu’on l’examine, un fait qui laisse à découvert certaines théories dont Goethe se préoccupait plus qu’on ne pense, et qu’il est indispensable d’étudier, si on veut connaître à fond le grand poète, car elles dominent à la fois son existence et son œuvre ; théories faites en partie avec les idées de Spinoza[1] et de Leibnitz, en partie avec les siennes propres.

  1. « Le livre de Jacob m’a sincèrement affligé, et comment, en effet, aurais-je pu me réjouir de voir un ami si vivement affectionné soutenir cette thèse : que la nature dérobe Dieu à notre vue ? Pénétré comme je suis d’une méthode pure, pro-