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GOETHE.

la nature coopère à l’œuvre de l’homme et subisse l’influence du sentiment qui l’affecte, la loi de sa toute-puissante volonté. Ainsi des anachorètes chantent dans la solitude, et voilà qu’aussitôt les arbres, les granits sortent de la vie de la végétation, de la vie des minéraux, pour devenir les tuyaux d’un orgue immense dont la voix accompagne leur musique.


(Ravins, bois, rochers, solitudes. — Saints anachorètes, dispersés sur le haut des montagnes et campés dans les crevasses du granit.)


le chœur et l’écho.

Au gré des vents qui tourbillonnent,
Les bois flottent sur le granit
Où les racines se cramponnent ;
Les grands arbres qui le couronnent
Montent épais jusqu’au zénith.
L’onde s’émeut et cherche l’onde ;
La caverne s’ouvre profonde,
Et le lion silencieux
Rôde paisible et solitaire,
Honorant le sacré mystère,
Mystère d’amour de ces lieux !


Ces rocs gigantesques, ces forêts immenses qui s’émeuvent à la voix des pieux anachorètes, ces lions qui répondent à leur psalmodie, tout cela n’est guère selon l’orthodoxie catholique, et l’on peut dire que cette nature vivante, si prompte à entrer en rapport avec le désir humain qui la sollicite, relève moins du dogme de saint Paul que des théories de Spinoza. Goethe, trop sûr de lui-même pour se laisser prendre en défaut en pareille question, a senti l’erreur où il s’engageait, poussé par une invincible préoccupation de la vie extérieure. Aussi n’a-t-il pas manqué de faire ses réserves et de se ménager d’avance une réponse à l’orthodoxie, en tenant à distance ses principaux personnages et les désignant sous des dénominations vagues qui ne sauraient entraver son indépendance, et n’impliquent aucun engagement envers l’autorité, telles que Pater Extaticus, Pater Profundus, Pater Seraphicus. Voilà, il me semble, ce que le docteur Loewe ne comprend pas, lorsqu’il s’efforce de voir dans le Père Extatique Jehan Roysbrock, dans le Père Profond saint Thomas de Cantorbéry, et saint Bonaventure dans le Père Séraphique. Certes, si Goethe avait voulu mettre en scène ici les fondateurs de la scholastique, rien ne l’empêchait de s’expliquer franchement ; s’il ne l’a point fait, sans