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GOETHE.

où les martyrs et les saints canonisés, vêtus de chapes d’or, montent à travers des tentures d’azur et de flamme dans la gloire de Dieu, l’œil attaché sur les beaux chérubins qui les conduisent et sèment des roses dans l’espace.

Je reprends l’analyse. — Philémon et Baucis habitent une chaumière au bord de la mer, une modeste chaumière cachée comme un nid, avec la petite chapelle qui la domine sous des touffes embaumées de tilleuls. Survient un voyageur. Le couple pacifique qui l’a sauvé jadis des flots, l’accueille avec amour et lui raconte les prodiges du nouveau maître du rivage. On parle des plaines qui se défrichent, des moissons qui poussent, des grands bois qui montent, des murailles qui s’élèvent avec une promptitude surnaturelle. La puissance mystérieuse de cet homme les épouvante. « Il est impie, il convoite notre hutte et notre bois, et lorsqu’il veut s’agrandir aux dépens de ses voisins, il faut se soumettre. » Cependant les deux époux trouvent des consolations dans la prière et la piété. « Laissez-nous aller à la chapelle saluer le dernier rayon, laissez-nous sonner la cloche, tomber à genoux, prier et nous abandonner au dieu antique. »

Faust, parvenu au terme de la plus grande vieillesse, se promène dans les jardins somptueux de son palais de marbre. Tout à coup le gardien de la tour annonce l’arrivée d’un navire chargé des plus rares trésors des contrées lointaines. Cette nouvelle laisse Faust indifférent ; la sonnerie de la chapelle trouble son repos ; l’envie et la tristesse cheminent désormais à ses côtés. En vain Méphistophélès s’efforce d’émouvoir en lui un reste de cupidité. « Quelle fête cependant ! nous avons appareillé deux vaisseaux, il nous revient une flotte ; c’est sur la mer seulement qu’on trouve la liberté du commerce et du pillage. Avez-vous la force, vous avez le droit ; on s’informe du pourquoi, et jamais du comment ; ou je ne me connais pas en navigation, ou la guerre, le commerce et la piraterie sont une trinité inséparable. » Faust laisse dire son infernal associé, d’autres soins le travaillent. Tant que les deux vieillards habiteront près de lui, il sera malheureux ; il veut que les tilleuls lui appartiennent, et puis cette cloche l’obsède.

Voilà donc comme il faut toujours qu’on me torture !
Plus je suis riche, et plus je sens ma pauvreté.
Le bruit de cette cloche ainsi vers moi porté,
Et de ces frais tilleuls le suave murmure
Me parlent de l’église et de la sépulture ;
La volonté de Dieu, sa force, son amour,