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GOETHE.

On en voit quelques-uns qui résistent encore ;
Mais, hélas ! ils ne font qu’augmenter la rumeur.
Pour faire au vin nouveau sa place avec honneur,
On vide chaque pot et chaque vieille amphore.

Les vêtemens d’Hélène, transformés en nuage, enveloppent Faust, l’enlèvent, et déposent l’infatigable aventurier sur le pinacle d’une haute montagne qui domine la terre, un peu comme le sommet de Judée où l’esprit du mal conduisit Jésus pour le tenter. Faust demeure pensif ; et, tandis que le brouillard flottant disparaît du côté de l’ouest, il voit glisser dans sa transparence vaporeuse toutes les pensées de son ame. On dirait un miroir gigantesque où défilent une à une les sensations de sa vie, formes qui grandissent et passent, insaisissables et vaines comme la vapeur qui les enfante ou plutôt les réfléchit, lumières qui tremblent au moment de s’éteindre, fantômes qui traversent le vide à grands pas pour aller au néant. Toutes ont passé, lorsqu’il s’en élève une dans le cristal, une qui reste ; le nuage a beau s’éloigner, elle diminue et ne disparaît pas, c’est Marguerite, le premier rêve de jeunesse, le premier désir, la première pensée d’amour ; Marguerite, cette perle divine que tant d’orages ont refoulée dans les plus profonds abîmes de sa conscience, toujours plus pure, plus limpide, plus baignée de lumière, chaque fois qu’un rayon de soleil amène pour quelques heures la quiétude et la sérénité.

Cependant la nature impatiente de Faust ne tarde guère à se faire jour ; il n’est pas dans son caractère de remuer long-temps les cendres éteintes de ses sensations, pour y chercher quelques parcelles d’or. La Mélancolie peut s’asseoir à l’ombre et se réfugier dans le passé ; les vives splendeurs du soleil l’éblouissent, et l’idée de l’avenir la trouble ; mais lui, avec le désir insatiable qui le possède et l’agite, s’il recule d’un pas, c’est pour s’élancer d’un bond plus impétueux sur le sommet qui ferme l’horizon à son œil d’aigle. Il faut à son activité dévorante un aliment nouveau ; il y a dans la comédie humaine une scène qu’il n’a pas jouée encore : la guerre. Cette scène, il la demande, il la veut, dût Méphistophélès composer le drame tout exprès ; du reste, il se soucie fort peu des titres et des honneurs, et n’envisage la question qu’au point de vue de l’inexorable activité qui le pousse.

L’empereur est tombé dans le piége que Méphistophélès a tendu sous ses pas au premier acte. À l’aspect de ces richesses diaboliques