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REVUE DES DEUX MONDES.

Phorkyas. — C’est facile. Il dépend de la reine de se sauver, elle et vous autres tout ensemble ; mais il s’agit de se décider promptement.

Le Chœur. — Ô la plus révérée des Parques ! la plus sage des Sibylles ! tiens ouverts les ciseaux d’or. Annonce-nous ensuite le jour et le salut, car nous sentons déjà tressaillir et comme flotter à tous les vents nos membres délicats, qui aimeraient bien mieux se réjouir dans la danse pour se reposer ensuite sur le sein du bien-aimé.

Hélène. — Laisse-les trembler. — J’ai de l’affliction, mais non de l’épouvante ; cependant, si tu connais un moyen de salut, qu’il soit accueilli avec gratitude. Pour l’ame clairvoyante et qui plane au loin, l’impossible se montre souvent possible ; — parle.

Le Chœur. — Oh ! oui, parle, et dis-nous vite comment nous pourrons échapper à ces affreux lacets qui se roulent déjà autour de notre cou, comme les plus funestes joyaux. Nous suffoquons d’avance, malheureuses, nous étouffons, si toi, la mère auguste de tous les dieux, ô Rhéa ! tu n’as pitié de nous.

Phorkyas. — Serez-vous assez patientes pour voir en silence se déployer le cortége du discours ? Il y a plus d’une histoire.

Le Chœur. — Nous le serons ; écouter c’est vivre.

Phorkyas. — Pour celui qui, resté à la maison, garde le noble trésor, cimente les murailles élevées de sa demeure, assure le toit contre l’orage, pour celui-là tout ira bien durant les longs jours de la vie ; mais celui qui franchit facilement d’un pied fugitif le seuil sacré de sa demeure, celui-là trouve, à son retour, l’antique place ; mais tout est changé, sinon détruit.

Hélène. — Où vont aboutir ces sentences connues ? Tu veux raconter ; n’éveille aucun souvenir fâcheux.

Phorkyas. — Ceci est de l’histoire, ce n’est pas un reproche. — Ménélas, en écumeur de mer, a navigué de golfe en golfe ; les rivages, les îles, il a tout envahi, revenant chargé du butin entassé dans ce palais. Il resta dix longues années devant Ilion. Combien il en a mis à revenir, je l’ignore. Mais que se passe-t-il maintenant dans le palais sublime de Tyndare ? qu’est devenu le royaume ?

Hélène. — As-tu donc l’invective tellement incarnée en toi, que, sans blâmer, tu ne puisses remuer les lèvres ?

Phorkyas. — Dix longues années demeura abandonné le vallon montagneux qui s’étend au nord-ouest de Sparte, — le Taygète par derrière, — où, comme un gai ruisseau, l’Eurotas se déroule et vient ensuite, à travers les roseaux de notre vallon, nourrir nos cygnes. Cependant là-bas, derrière le vallon montagneux, une race aventurière s’est installée, sortie de la nuit cimmérienne ; là s’est élevé un bourg fortifié, inaccessible, d’où elle foule, selon qu’il lui convient, le sol et les habitans.

Hélène. — Ils ont pu accomplir une telle entreprise ? Cela semble impossible.

Phorkyas. — Ce n’est pas le temps qui leur a manqué ; ils ont eu vingt ans à peu près.

Hélène. — Ont-ils un chef ? Sont-ce des brigands nombreux et unis ?