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nages les plus importans l’histoire des personnages secondaires, ou plutôt développer et traiter pour elle-même une partie de la tradition négligée d’abord. C’est ce qu’ont fait pour les sujets homériques les poètes alexandrins auteurs de la Prise de Troie et de l’Enlèvement d’Hélène ; c’est ce qu’ont fait pour les traditions germaniques dont les Niebelungen ont reçu le principal dépôt, les auteurs des diverses épopées contenues dans le recueil intitulé le Livre des Héros. L’ensemble de tous ces poèmes, qui se rapportent à un même centre et dont chacun contient le développement particulier de telle ou telle partie de la tradition, forme ce qu’on appelle un cycle. Le cycle héroïque de la Perse comprend, outre le Livre des Rois, un certain nombre d’ouvrages qui relèvent de lui. Ferdousi est la racine, dit un auteur persan ; les autres sont les branches.

M. Mohl, dans sa belle préface sur l’analyse de laquelle je crois devoir anticiper ici, parle de quelques-unes de ces compositions qui sont comme les satellites de la grande composition de Firdousi, et se réserve de traiter plus à fond ce sujet dans un appendice qui sera placé à la fin de l’ouvrage.

Le mètre de ces divers poèmes est toujours celui du Livre des Rois ; l’intention d’imiter Firdousi est évidente. Quelquefois même les continuateurs de son œuvre ont trouvé plus simple de reproduire, en changeant les noms des personnages, certaines histoires déjà racontées par le grand poète. Le touchant épisode de Zohrab a fourni matière à deux répétitions de ce genre.

Pendant deux siècles environ, l’impulsion donnée par Firdousi à la poésie épique subsiste et produit des ouvrages d’une étendue considérable. L’un d’eux, le Barzou Nameh, est plus long que le Livre des Rois ; il a au moins 130,000 vers. Dans tous ces poèmes, qui appartiennent à l’école de Firdousi, M. Mohl reconnaît encore la présence de la tradition nationale ; mais il la voit disparaître entièrement dans les poèmes moraux et lyriques de Nizami et de ses imitateurs. Les noms que la tradition héroïque avait rendus célèbres, n’y paraissent que pour fournir aux auteurs une occasion de moraliser et de se livrer à la peinture de sentimens romanesques. Le style, qui est très recherché et par suite très obscur, ne peut convenir qu’à des lettrés ; toute vie, toute inspiration populaire s’est donc retirée de cette poésie purement artificielle.

Mais le peuple, qui se souvenait confusément des anciens héros du pays, bien qu’il ne connût plus guère que leurs noms, a accumulé autour de ces noms une foule d’historiettes banales et souvent ridicules.