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Les successeurs d’Alexandre ne figurent point dans le Livre des Rois. Les annales poétiques de la nationalité persane n’ont pas mentionné ces princes étrangers qui n’héritèrent point de la politique d’Alexandre. Alexandre s’était fait Persan, eux demeurèrent Grecs. La persistance incroyable de la civilisation grecque au centre de l’Asie a été révélée de nos jours par les nombreuses médailles trouvées dans l’Afhganistan et dans la Transoxane, et sur lesquelles on voit le type hellénique se maintenir, même sous les rois scythes, destructeurs des dynasties macédoniennes. Cette époque, purement grecque, manque et devait manquer dans l’épopée persane de Firdousi. Les rois arsacides ou parthes, qui soutinrent de si glorieuses guerres contre les Romains, en dépit de ces triomphes, ont peu occupé le chantre de la tradition nationale ; c’est qu’eux-mêmes, bien que leur race fût alliée à celle de l’Iran, bien qu’ils eussent délivré le pays de la domination des conquérans grecs, n’ont jamais été considérés par les historiens persans comme ayant continué dans sa pureté l’ancienne civilisation du pays. Ils mêlèrent des superstitions étrangères aux doctrines de Zoroastre ; l’unité du vieil empire n’existait plus ; la Perse était alors divisée en une foule de principautés. Firdousi dit, en parlant des Arsacides : « C’était comme si aucun roi n’avait gouverné la terre ; ils n’accomplirent rien de grand. Alexandre, ajoute-t-il, l’avait ainsi ordonné, afin que Roum conserve sa splendeur. » Singulière extension de la puissance d’Alexandre à des dynasties qui ont renversé les dynasties fondées par ses successeurs !

L’avénement des Sassanides fut la résurrection de l’unité, de la religion et de la nationalité persane. Ici le poète est sur le terrain de l’histoire. On retrouve chez lui à peu près complète la succession réelle des rois de Perse depuis Ardeschir Babekan jusqu’à Yezdejird. Mais dans cette série sont entremêlées bien des fables, bien des histoires merveilleuses et romanesques. En approchant des temps modernes, il semble que la tradition perd de sa naïveté, de sa simplicité, de sa grandeur. Mais, dans cette partie, la maigre analyse de Gœrres ne peut suffire, et, pour prononcer, il faut attendre que M. Mohl ait mis à fin sa vaste entreprise.

J’en ai dit assez pour qu’on ait une idée de ce qu’embrasse et contient l’immense poème de Firdousi ; j’ai présenté, comme font les géologues, une coupe de la montagne dans laquelle l’œil peut compter toutes les couches et tous les âges de la tradition persane. Il est visible que le Livre des Rois est l’œuvre la plus nationale qui fut jamais. C’est par là qu’il est profondément épique, car la nationalité est l’ame de