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riers se racontent mutuellement la longue histoire de leurs exploits, entremêlée de bravades cordiales et de gaietés héroïques.

« Isfendiar prit en souriant la main de Rustem, et dit : « Tu es plus fort qu’un lion, tu as la poitrine et les épaules d’un dragon. » En même temps il lui serra la main, de sorte que le sang jaillit sous les ongles ; mais l’homme pur demeura immobile. Le vieillard rit du jeune homme, et, prenant sa main, il dit : « Heureux Gustasp ! d’avoir un fils tel qu’Isfendiar ! » En prononçant ces mots, il lui pressa si fortement la main, que le visage du brave devint rouge et que ses ongles ruisselèrent de sang. Isfendiar se prit à rire, et dit : « Bois à cette heure, je te combattrai demain ; quand je t’aurai terrassé, je te délivrerai de tout souci et de tout mal, et je te comblerai de richesses. » Rustem répondit en riant : « Ainsi, demain, au lieu de vin nous verserons du sang. Homme contre homme, avec le glaive et la massue, nous accompagnerons le chant de guerre ; alors tu connaîtras ce qu’est le combat des héros. Je t’enlèverai de ta selle, je te porterai devant mon père Zal, je te placerai sur un trône d’or, et je déploierai mes richesses devant toi, pour que tu choisisses ce qui te plaira. »

Voilà de la courtoisie héroïque, et, en lisant cet entretien des preux de l’Iran, on peut s’écrier comme Arioste :

O gran bontà dei cavalieri antichi.

Le lendemain, les deux champions brisent d’abord leurs lances l’un contre l’autre, puis ils saisissent le glaive et la massue, et s’attaquent avec fureur. Les flèches d’Isfendiar percent la peau de tigre, vêtement jusque-là impénétrable, de Rustem. Le héros et son coursier sont couverts de blessures ; Isfendiar n’en a reçu aucune, son corps est fée, comme disaient les romanciers du moyen-âge. Rustem, criblé de plaies, n’en traverse pas moins à la nage le fleuve qui le sépare de sa demeure, et il échappe ainsi à son adversaire, qui croyait déjà triompher. Dans sa détresse, il appelle le simurgh, l’oiseau qui a nourri son père et qui protége sa race ; le simurgh vient guérir ses blessures et lui enseigner les moyens de vaincre Isfendiar. Zoroastre avait enchanté les armes de ce guerrier ; il avait aussi versé une eau magique sur sa tête pour le rendre invulnérable ; mais, pendant cette opération, Isfendiar avait fermé les yeux, et le charme n’avait pu s’étendre à eux. Ainsi Achille, tenu par le talon tandis qu’on le trempait dans les eaux du Styx, était