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pectait et suivait encore, même quand elle s’écartait de sa croyance ; c’est un mérite de plus qu’a pour nous son poème.

La mort du vieux roi Lohrasp, massacré à Balk avec quatre-vingts prêtres qui, le Zend-Avesta à la main, priaient devant le feu sacré, se rattache évidemment à la tradition ordinaire du massacre des mages, immolés avec Zoroastre lui-même. Ce qui concerne ce législateur dans le Livre des Rois est ce qu’on possède de plus ancien sur sa vie et sur l’établissement de son culte, et le silence de Firdousi fait justice des fables contenues dans les ouvrages persans postérieurs, fables puériles et très probablement imaginées plus tard.

Sous le règne de Gustasp paraît sur la scène son fils Isfendiar, le plus brillant héros de l’Iran après l’invincible Rustem.

Isfendiar est présenté dans le Livre des Rois comme le grand propagateur de la religion de Zoroastre. Ses conquêtes sont celles du culte nouveau. En outre, on incline à voir en lui Xercès, fils de Darius Hystaspe, comme Isfendiar est fils de Gustasp. S’il en était ainsi, les expéditions du père et du fils contre les Grecs, ces expéditions dont l’immense appareil a été tant célébré, et probablement tant amplifié par les vainqueurs[1], ne seraient représentées dans la tradition persane que par la mention rapide et insouciante d’une expédition d’Isfendiar dans l’ouest. C’est que la tradition nationale n’enregistre pas volontiers les défaites, c’est que ces évènemens si importans pour les destinées de l’Occident se passaient loin du centre de l’empire persan, et n’y ont retenti que faiblement. Les luttes ignorées des populations de la Perse contre les populations scythiques et le rôle qu’ont joué dans ces luttes quelques chefs militaires des provinces du nord et de l’est, voilà ce qui a vécu dans la mémoire des masses, voilà ce qui a inspiré les chants des poètes. Il n’y avait point de place dans ces chants pour une guerre qui intéressait la civilisation du monde, mais qui ne touchait pas l’Orient. L’Orient a célébré Rustem et Afrasiab, personnages inconnus à l’Occident ; il s’est tu sur Xercès et sur Thémistocle. Singulières vicissitudes de la renommée ! Ce que Pascal dit de la vérité, on peut le dire plus justement de la gloire : Quelques degrés du méridien décident de l’illustration des hommes, célèbres en deçà, ignorés au-delà !

Il y a un singulier rapport entre la destinée d’Isfendiar et celle du

  1. Hérodote, et après lui Isocrate et Plutarque, portent le nombre des soldats de Xercès à cinq millions environ ; mais Diodore de Sicile, Pline, Ælien, s’accordent pour en retrancher les quatre cinquièmes. (Malcolm, Histoire de Perse, I, 347.)