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race, civilisation fondée dans les temps mythiques par Djemschid, régénérée par Zoroastre, vaincue et respectée par Alexandre, opprimée par les Arsacides, relevée par les Sassanides, tuée par les Arabes.

Ces récits ne sont point de l’histoire ; ils contiennent la tradition telle que le temps l’a faite et telle que l’a recueillie Firdousi vers l’an 980 de notre ère ; mais une tradition nationale n’est jamais entièrement dénuée de vérité : elle n’invente pas les faits, elle les altère et les transforme. La manière dont ces altérations et ces transformations s’accomplissent est elle-même un fait historique ; en outre, la tradition supplée au silence de l’histoire ou la complète, car souvent le génie des peuples se révèle mieux dans ce qu’ils croient que dans ce qu’ils savent.

Un livre qui renferme les traditions de la Perse, recueillies et chantées par son grand poète, est donc un des livres les plus importans que puisse offrir la littérature du genre humain. Ce livre, qui contient soixante mille distiques, n’avait jamais été traduit dans aucune langue de l’Europe. Ce qu’on avait de mieux était un abrégé écrit en allemand avec un vrai talent par Gœrres. Jusqu’à ce jour, quelques vers seulement de Firdousi avaient passé dans notre langue. M. Mohl a entrepris la tâche immense de publier le texte persan du poème et de le traduire en français. Le premier volume qui a paru et qui fait partie de la collection des monumens de littérature orientale, imprimés par ordre du gouvernement, montre assez que M. Mohl est capable de mener glorieusement à bout cette vaste entreprise.

La préface est un morceau capital de critique historique et littéraire sur lequel je reviendrai. Mais le monument lui-même étant peu connu, je crois qu’il faut, avant tout, donner une idée de son ensemble. Je le ferai d’autant plus volontiers que le Livre des Rois, imprimé avec un grand luxe aux frais de l’état et coûtant 90 fr. le volume, est malheureusement peu accessible à la généralité des lecteurs.


Le premier qui ait institué le trône et la couronne est Kaioumors. Il fut le fondateur de la civilisation persane et habitait les montagnes d’où elle est descendue. Kaioumors, selon la croyance religieuse contenue dans le Zend-Avesta, était un personnage mythologique : la tradition épique l’a rabaissé à un rôle humain. C’est la marche ordinaire des choses.

On a dit que les dieux étaient des hommes divinisés, bien plus souvent les héros des temps primitifs sont des personnages divins dont on a fait des hommes. Dans ces temps, on descend du ciel sur la terre