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vancer sans obstacles jusqu’au golfe Persique, et enlever à la Porte toutes ses provinces méridionales. Mais nous espérons que cet enivrement causé par la victoire de Méhémet-Ali à quelques organes de la presse en Europe n’atteindra pas le pacha lui-même ; dans tous les cas, la France ne perdra sans doute pas de vue que si elle est favorable à Méhémet-Ali, elle ne doit pas moins, dans l’intérêt européen, sa protection à l’empire ottoman.

Abandonner cet empire, et laisser Méhémet-Ali s’emparer de ses provinces à titre de vassal, sous la condition d’un tribut qu’il ne paiera pas, c’est appeler les armées russes à Constantinople, et amener la guerre, ce qui n’est sans doute dans les desseins ni de l’Angleterre, ni de la France. Il est inutile, nous le pensons, de relever les assertions des journaux légitimistes, qui accusent le gouvernement français d’avoir favorisé la défection du capitan-pacha ; mais les vues qui tendraient à accorder au pacha d’Égypte peut-être plus qu’il ne demande lui-même, veulent être contredites sérieusement. C’est pousser trop loin le culte du succès. Il y a peu de jours, on représentait la Syrie comme prête à se soulever contre le pacha, et frémissant de cette domination qui y a déjà fait naître plus d’une révolte ; on assurait que l’armée turque était à la fois nombreuse et instruite ; sa défaite a tout changé. Certes, rien ne change plus la face des choses qu’une bataille perdue ; mais la France n’est pas faite pour jouer entre la Turquie et l’Égypte le rôle que jouait autrefois l’Autriche entre Napoléon et les Russes. Si elle a quelqu’un à favoriser et à soutenir dans cette affaire, c’est assurément le plus faible, et cet acte de générosité se trouve d’accord avec les intérêts de sa politique.

Nous sommes de ceux qui ne croient pas à la longue durée de cet empire d’une ville, comme l’appelle un des hommes les plus distingués qui aient parcouru l’Orient dans ces derniers temps ; mais une conduite ferme et loyale de la part de la France peut, malgré tout le dédain que nous montrent les journaux anglais, retarder encore de quelques années la chute de l’empire turc. Ce délai est d’une haute importance. Il nous permettra de nous assurer des garanties que nous ne sommes pas aujourd’hui en mesure de prendre, de regagner une influence que des fautes politiques inouies, et qui nous sont pour la plupart communes avec l’Angleterre, nous ont fait perdre. C’est une raison assez puissante pour ne pas livrer aveuglément à Méhémet-Ali le reste de cet empire si malheureux.

Chaque jour, les journaux tories annoncent que lord Melbourne a supplié la reine d’accepter sa démission, et une des feuilles les plus éhontées qui aient jamais paru en Angleterre, le Satyrist, feuille qu’on dit en rapport avec le roi de Hanovre, rapporte que la reine, qu’elle nomme the little lady, a refusé encore, il y a peu de jours, de laisser s’éloigner son ministre, en disant « qu’elle ne veut pas de ces odieux tories. Il est vrai que les tories travaillent à mériter chaque jour de plus en plus ce nom aux yeux de la reine, et que l’aristocratie anglaise a bien démérité de son ancienne réputation de loyalty. Les choses se sont envenimées à ce point que des projets qui seraient à peine concevables de la part des radicaux ont été discutés, assure-t-on, dans certaines réunions de