Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/433

Cette page a été validée par deux contributeurs.
429
REVUE. — CHRONIQUE.

dignité de grand-visir. On vante beaucoup l’intégrité de ce fonctionnaire, et l’on espère beaucoup de son administration. Les difficultés de sa situation sont grandes toutefois, car Kosrew-Pacha est un ancien ennemi de Méhémet-Ali, et malgré la nécessité de plier devant le pacha d’Égypte, où se trouve le divan depuis la bataille de Nézib et la défection du capitan-pacha, le visir surmontera difficilement sa haine déjà bien ancienne. Il ne faut pas oublier que Kosrew-Pacha, qui est né au pays des Abases, ayant été acheté par le fameux capitan-pacha Kutchuk-Hussein, fut nommé pacha du Caire, et qu’il gouverna l’Égypte pendant quelque temps, après la retraite de l’armée française. Il y serait même peut-être encore, si Méhémet-Ali, qui n’était alors que simple bimbachi dans l’armée turque, grade qui équivaut à celui de chef de bataillon, s’étant révolté à la tête de quelques soldats, n’avait chassé Kosrew du Caire, et ne l’avait poursuivi jusqu’à Damiette, où il le força de s’embarquer pour Constantinople. Kosrew-Pacha fut depuis tour à tour pacha de Bosnie et capitan-pacha. Il contribua puissamment à la destruction des janissaires, et travailla activement à former les nouvelles troupes qui ont achevé à Nézib leur honte commencée à Koniah. Le maréchal duc de Raguse, qui connut Kosrew-Pacha en 1806, lorsqu’il était pacha de Bosnie, et qui le retrouva depuis à Constantinople, le peint comme un homme vif, fin, rusé, qui sait conduire les intrigues les plus compliquées, et qui a traversé plusieurs règnes en ajoutant constamment à son pouvoir et à son crédit. Son élévation récente confirme ces paroles du maréchal, qui ajoute que Kosrew, dont la fortune est très considérable, a su mieux conduire ses affaires que celles de son maître et de l’état. Ce portrait de Kosrew-Pacha diffère beaucoup de celui qu’on fait de lui en Europe depuis son avènement à la présidence du divan. Au reste, Méhémet-Ali, l’adversaire de Kosrew-Pacha, est aussi un orphelin, élevé presque par charité, et un journal anglais, l’Atlas, donne aujourd’hui sa biographie dans ce peu de lignes : « En 1773, à Cavala, petit port maritime près de Philippi, mourut, accablé sous le poids de la misère, un officier inférieur de la police turque. Il laissa, pour tous biens, un enfant de quatre ans, sans asile. Heureusement l’aga de la place, un Turc nommé Toussoon, était son oncle : c’était un homme bienfaisant. Touché de compassion, il recueillit l’orphelin, et lui fit donner une éducation qui pouvait passer en Turquie, et dans ce temps-là, pour libérale. On lui apprit à manéger un cheval et à se servir avec adresse de la carabine ; quant à lire et à écrire, ces deux talens étaient regardés comme une superfluité, et l’enfant avait atteint un âge avancé avant de les posséder. Ce furent là les premières années de Méhémet Ali. »

Méhémet-Ali a aussi beaucoup gagné aux yeux d’un certain nombre de personnes depuis la défaite des troupes turques. Méhémet-Ali est devenu le sauveur de l’Orient. Le bien de cette partie du monde veut aujourd’hui qu’on le laisse maître absolu de la Syrie, et que sa domination, s’étendant jusqu’au golfe Persique, embrasse Bagdad, Bassorah, et toute l’Irak-Arabie, qu’il ne tarderait pas à civiliser, comme il a civilisé I’Égypte ! Il est certain que Méhémet-Ali, maître aujourd’hui du cours du Tigre et du cours de l’Euphrate, peut s’a-