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parmi eux Thomas, son fils aîné, celui qu’au fond du cœur il préférait à tous, et dans lequel il avait le plus de confiance. Qu’est devenu Thomas ? s’écrie-t-il ; aurait-il abandonné ses frères, aurait-il jeté sur ma tête la souillure de la lâcheté ? Il rentre dans sa demeure avec ce doute qui le torture, et la crainte de trouver l’aîné de sa race indigne de lui l’emporte dans son ame sur le malheur d’avoir perdu les autres.

Thomas était absent lorsque le combat s’engagea. Il arrive trop tard pour soutenir ses frères ; mais les voyant tous baignés dans leur sang, il s’élance comme un lion furieux à la poursuite des brigands, les atteint, les massacre l’un après l’autre, coupe la tête de leur chef, puis s’en revient, couvert de blessures, la jeter aux pieds de son père, qui meurt de joie comme un Spartiate en embrassant ce glorieux soutien de son nom.

L’académie suédoise récompensa, par une médaille d’or, ce présent national, et Runeberg poursuivit ses peintures finlandaises. En 1832 et 1836, il écrivit deux idylles franches, naturelles, plus vraies que la Parthénaïde de Baggesen, plus intéressantes que la Louise de Voss, inférieures seulement à l’Hermann et Dorothée de Goethe. L’une est le roman d’amour de deux étudians qui se réunissent, pendant les vacances, chez un prêtre de campagne ; l’autre, le récit d’une chasse à l’élan au milieu de l’hiver. Toutes deux présentent un tableau profondément senti et habilement fait de la nature finlandaise, et une foule de détails caractéristiques, quoique parfois un peu minutieux, sur les mœurs, sur la vie des habitans de cette contrée.

Les poésies lyriques de Runeberg dénotent la même influence et partout la même empreinte. Ce qui n’est souvent dans d’autres pays que l’expression d’une pensée éphémère, quelquefois un rêve, et quelquefois une erreur, est malheureusement ici une réalité. Ces poésies sont vraies par cela même qu’elles sont tristes. Il semble que ce jeune écrivain ait été saisi de bonne heure par la mélancolie de ses bois de sapins, de ses lacs solitaires, de son ciel brumeux. Si nous vivions encore au temps des croyances mythologiques, on dirait que le Nek, cet esprit des cascades et des fleurs, lui a révélé, dans les nuits d’automne, ses mélodies les plus plaintives ; que Hulda, la pauvre nymphe éplorée du désert, l’a emmené dans sa sombre retraite pour lui murmurer son chant de deuil ; car tous ses vers ont un caractère de souffrance comprimée et de douloureuse résignation. Et puis on le voit, cette souffrance ne tient pas seulement à la nature du pays, à