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POÈTES ET ROMANCIER DU NORD.

l’on parvenait à élargir ces analogies, et à les constater d’une manière exacte, ce serait pour l’historien un document d’une grande importance ; mais ce travail difficile et hasardeux a déjà lassé la patience de plusieurs philologues, et n’offre encore que de vagues résultats.

La poésie finlandaise est souvent, comme l’ancienne poésie d’Islande, surchargée d’épithètes et de métaphores pompeuses ; mais son rhythme est simple et peu varié. La rime ne s’y est introduite que dans les derniers temps. Les anciens vers sont tous allitérés. Cette poésie se divise en trois séries distinctes. La première se compose des chants mythiques, qui racontent en termes obscurs l’origine du monde, la lutte des élémens, l’invention de la poésie ; la seconde renferme les chants de sorciers, plus obscurs encore et plus difficiles à comprendre. Ce n’est souvent qu’une suite de vers décousus, un assemblage de mots bizarres qui étonnaient les auditeurs par leur incohérence, et que le sorcier employait dans ses conjurations sans y chercher probablement lui-même aucun sens. La troisième renferme les chants lyriques composés dans les derniers temps. Ceux-ci sont doux, simples, harmonieux : c’est l’élégie de celui qui souffre, le vœu passionné de celui qui aime, le cri de joie qui accompagne le cliquetis des verres dans un jour de fête.

Autrefois la poésie entrait pour une grande part dans la paisible existence de la famille finlandaise. C’était plus qu’une distraction ; c’était une pensée de chaque jour, un besoin. Les paysans traduisaient en vers leurs émotions ; les chasseurs composaient de nombreuses strophes sur l’ours qu’ils avaient poursuivi ; les femmes elles mêmes, en broyant le grain dans un mortier de pierre, s’encourageaient au travail par des chansons.

Cet amour de la poésie, cette sorte de faculté instinctive pour la versification, n’occupent plus autant que par le passé les habitans des côtes, qui, par leur contact avec les étrangers, agrandissent et varient le cercle de leurs idées. Mais dans l’intérieur du pays, dans la ferme construite au bord du lac solitaire, la poésie est encore invoquée à chaque réunion, et répand un charme sur chaque fête. Là, dans les circonstances solennelles, la famille du paysan et les voisins qu’elle a rassemblés sous son toit se placent en cercle autour du foyer. Les deux chanteurs les plus célèbres s’avancent au milieu de cette enceinte et s’asseoient l’un en face de l’autre, de manière à ce que leurs genoux se touchent ; puis ils commencent, comme des bergers arcadiens, leur concert poétique. Le premier entonne une strophe, le se-