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LES VICTIMES DE BOILEAU.

inquiète dont ses contemporains jouissaient orageusement. Épicurien raisonneur, dialecticien habile, plus pur et plus vif dans sa prose que dans ses vers, bien moins entaché de vieilles locutions et de vieux mots que Saint-Amant ; emporté comme ce dernier et broyé, mais avec plus de souffrances, par l’évolution qui transformait la France féodale en monarchie sans contrepoids, Théophile occupe, au commencement du règne de Louis XIII, le centre du groupe des libertins, destinés à se tapir et se dissimuler sous Louis XIV, pour régner enfin sous Louis XV. Comme poète, il contribue à prêter de la fermeté aux strophes et de la noblesse à la facture des vers : bien inférieur à Malherbe, il voudrait tendre au même but ; il avoue généreusement pour modèle et pour maître ce Malherbe qui le méprise ; Malherbe, « qui nous a appris le français, dit-il, et dans les écrits duquel je lis avec admiration :

L’immortalité de sa vie.

Il a de l’énergie et de la suite dans les idées ; son expression est souvent belle, quelquefois profonde, trouvée, même admirable, comme lorsqu’il dit de Henri IV :

Son courage riait !…

Si Corneille eût écrit cet hémistiche, on l’eût jugé sublime. Toutefois, dans sa poésie, ce ne sont que des lueurs ; il n’a rien de complet ; c’est une haleine courte, qui se soutient peu, et un esprit trop vif à la fois et trop rigoureux pour inventer des fictions brillantes, ou s’élever jusqu’aux régions de la rêverie et de l’enthousiasme. Il aimerait, s’il en avait le temps et la patience, la recherche de pureté et de correction qui distingue Malherbe ; ce qui lui plaît avant tout, « c’est le poids, le sens, la liaison, » il en convient. Il est si peu poète dans le vrai sens du mot, que toute la mythologie grecque lui paraît absurde : Cupidon, dit-il,

Cette divinité, des dieux même adorée,
Ces traicts d’or et de plomb, cette trousse dorée,
Ces aisles, ces brandons, ces carquois, ces appas,
Sont vraiment un mystère où je ne pense pas.
La sotte antiquité nous a laissé des fables
Qu’un homme de bon sens ne croit point recevables,
Et jamais mon esprit ne trouvera bien sain
Celuy-là qui se plaist d’un fantosme si vain,