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moder toutes mes volontés aux vostres (pourvu que vous ne veuillez point la ruine de mon affection), je vous rendrai toujours une si parfaite et si respectueuse obéissance, que vous n’aurez point sujet de vous repentir d’avoir sauvé la vie au misérable Actéon. » Théophile ajoute que la lettre fut remise à Diane, et qu’il n’a pas besoin de dire le sort de celui qui l’écrivit. « Tout le monde le sait. » — Cette épître renferme-t-elle le mot caché des premiers malheurs de Théophile ? Le temps a respecté ce mystère. Mais une telle époque et un tel homme permettent toutes les hypothèses. C’était alors que Buckingham serrait de si près Anne d’Autriche, que Richelieu jouait le rôle d’amant transi, que Marie de Gonzague courait les aventures comme la princesse de Trébizonde. Bayle a reconnu le singulier caractère de ce règne : « Vraiment, dit-il, je me demande, en lisant l’histoire de Louis XIII, si ce sont là des faits réels ou des actions chimériques. » On ne trouverait point extraordinaire que Théophile eût égaré dans les plus hautes régions de la cour son romanesque hommage, et que la rancune silencieuse du roi, sans divulguer le crime, eût puni l’insolence.

Il est certain que le Louvre ne le revit plus. À son retour en France, il reprit son train de vie, et fit les délices de quelques seigneurs, de M. de Montmorency entre autres. Son exil de la cour s’était ébruité, ses vers circulaient, ses épigrammes se répétaient ; elles n’étaient pas toutes décentes, crime qui lui était commun avec les poètes ses contemporains, Sigongne, Berthelot, Motin, Bergeron, Du Rosset, Régnier, et tous les autres. Mais les aventures de sa vie, son intimité avec les grands, son récent exil, sa renommée d’audace et d’impiété, le plaçaient au-dessus d’eux ; et un libraire conçut l’idée lucrative de recueillir et de publier, sous un nom si brillant, les plus graveleuses des obscénités qui couraient manuscrites. En 1622 parut ce recueil, le Parnasse satirique du sieur Théophile, qui eut plus de dix éditions en France et en Hollande, et qui contient fort peu de pièces de cet écrivain. Mais, à son apparition, tout s’ébranla dans le camp des jésuites ; Théophile n’allait plus à la cour, on le savait ; le roi refusait de le voir ; l’armure de l’impie se détachait et l’exposait aux attaques ; un effroyable cri s’éleva contre le malheureux. Tous les bourgeois qui avaient eu quelques rapports avec Théophile, et qui peut-être l’avaient entendu parler librement, vinrent déposer contre lui. « Il avait médit, raillé, chanté des chansons obscènes, engagé les jeunes gens à boire ; on l’avait entendu rire à la messe, et comparer sa belle à la Divinité. Il avait soutenu des thèses à table, et on