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LES VICTIMES DE BOILEAU.

Suivant le libre train que nature prescrit.
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Qui suivra son génie et gardera sa foy,
Pour vivre bien-heureux il vivra comme moy.

Ici le péché originel est évidemment nié ; la bonté native de l’homme est affirmée. Helvétius et Lamétrie pensaient de même. Chez Théophile, ce n’était pas fantaisie de poète, mais système. Il se moque amèrement des théologiens et des casuistes, ardens à blâmer nos penchans et à extirper les passions, que Théophile juge bonnes :

Ils veulent arracher nos passions humaines
Que leur malade esprit ne juge pas bien saines.
Soit par rebellion, ou bien par mon erreur,
Ces repreneurs fâcheux me sont tous en horreur.
J’approuve qu’un chacun suive en tout la nature ;
Son empire est plaisant et sa loy n’est pas dure ;
Mesme dans les malheurs on passe heureusement.
Jamais mon jugement ne trouvera blâmable
Celuy-là qui s’attache à ce qu’il trouve aimable,
Qui, dans l’état mortel, tient tout indifférent :
Aussi bien, même fin à l’Achéron nous rend
La barque de Caron, à tous inévitable,
Non plus que le méchant n’épargne l’équitable,
Injuste nautonnier, hélas ! pourquoi sers-tu,
Avec même aviron, le vice et la vertu ?

Pour la pratique de la vie, une telle doctrine n’a pas d’autre résultat que l’indifférence, la quiétude et la volupté. Horace et Théophile essayaient d’en corriger l’excès par la modération, la prévoyance et le bon sens ; c’est toute la philosophie du Mondain de Voltaire :

Heureux, tandis qu’il est vivant,
Celui qui va toujours suivant
Le grand maître de la nature !
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Il n’enviera jamais autrui,
Quand tous, bien plus heureux que lui,
Se moqueraient de sa misère !
Le rire est toute sa colère.
La sottise d’un courtisan,
La fatigue d’un artisan,
La peine qu’un amant soupire,
Lui donne également à rire :