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LES VICTIMES DE BOILEAU.

a horreur du mensonge[1]. » — « Toutes les promesses que vous me faites sont fausses, et vous m’obligez encore à les achepter par des prières, afin de me tromper après avec plus d’affront. Elles ne seraient point injustes si vous ne l’estiez. Vivez à vostre sorte, je ne sçaurais plus vivre à la mienne avec vous, ny me contraindre à l’advenir pour vous dire seulement après cecy que je suis, etc. » — Tel est le pied sur lequel Théophile se maintient au Louvre et à Chantilly. Il s’arrête avec habileté dans les bornes d’une liberté fièrement spirituelle qui ne le conduit jamais jusqu’à l’impertinence, et il remet chacun à sa place, sans quitter la sienne. Le jeune duc de Liancourt avait des maîtresses et oubliait pour elles le soin de son avenir et de son nom ; Théophile, son ami intime, lui écrit cette lettre remarquable, que nous citerons presque entière :

« Il est permis à plusieurs de vous laisser faire des fautes, et ceux de vostre condition, à qui vostre mérite donne de la jalousie, sont bien aises de vostre ruine, et consentent, à leur avantage, que vostre vertu languisse en un désir si bas et en de si molles occupations mais moy, qui m’intéresse à vostre gloire et qui ne puis estre toute ma vie qu’une ombre de vostre personne, je ne puis laisser diminuer rien du vostre, que je n’y perde autant du mien. — Que si vous estes malade jusques à ne sentir plus vostre mal, je m’en veux ressentir pour moy, et m’en plaindre au moins pour tous deux. Connaissez, je vous prie, que vous estes en l’âge où se posent les fondemens de la réputation, et où se commence proprement l’estat de la vie. Ce que vous en avez passé jusques icy est ennuyeux et n’en vaut pas le souvenir. Il est vrai que, par les conjectures qu’on en doit tirer, vostre jeunesse est de bon présage ; et, autant que les témoignages de la minorité peuvent avoir de foy, on a jugé de vous que vous avez l’esprit beau, le courage bon et les dispositions de l’ame généreuses. Je parle sans flatterie, car je n’en ai pris, à ce propos, ny le dessein ny la matière… Je n’avais jamais veu personne se plaindre de vostre entretien ; on tirait bon augure de vostre rencontre ; et vous aviez dans la physionomie de la joye pour ceux qui vous regardaient. Ceux même à qui vous deviez la vie et la fortune, trouvaient du bonheur à vous caresser. Je ne sçais pas à quel poinct vous en estes maintenant avec eux ; mais ils font croire, ou qu’ils sont bien irrités, ou qu’ils ne vous aiment plus, et que s’ils perdent le soin de vous reprendre, ils ont perdu l’envie de vous obliger. La plupart de vos amis qui me

  1. Lettres posthumes.