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LES ÎLES SANDWICH.

vraient le plancher ; à chaque extrémité et au milieu étaient de larges portes encadrées dans des châssis de vitrage. Quelques tableaux ornaient la muraille : je remarquai le portrait du roi Léopold, alors duc de Saxe-Cobourg, le portrait de Canning et ceux de Rio-Rio et de sa femme, faits en Angleterre. Des candélabres étaient attachés aux poutres. Des chaises, quelques tables, deux ou trois sofas complétaient l’ameublement.

Kauikeaouli me fit entrer dans les chambres intérieures ; une d’elles contenait une magnifique estrade de quinze pieds de long sur huit ou dix de large ; cette estrade ou lit, élevée de deux pieds au-dessus du sol, était faite de nattes posées l’une sur l’autre de la manière que j’ai déjà décrite ; la chambre, à l’autre extrémité, contenait un bureau sur lequel étaient éparpillés quelques papiers, et une petite bibliothèque dans laquelle je remarquai des livres religieux que Kauikeaouli ne lit sans doute pas souvent, et une histoire de France, qui lui avait été donnée quelques jours auparavant par un des officiers de la Bonite, et qu’il ne lira pas plus souvent que ses autres livres, quoiqu’il nous ait témoigné un grand désir d’apprendre la langue française. Le compartiment ou chambre du milieu servait de salle à manger ; une table et quelques chaises seulement meublaient cette chambre.

Cette maison est située à l’extrémité d’une vaste cour, entourée, comme toutes les maisons du pays, d’une barrière de briques séchées au soleil. Dans cette enceinte sont renfermées à peu près cinquante cabanes qui servent de cuisines, de magasins, de logement pour les serviteurs du roi, et de caserne pour les troupes de ligne et celles de sa maison.

Kauikeaouli gagne beaucoup à être connu. Il est naturellement timide ; mais s’il découvre en la personne avec laquelle il cause du bon vouloir et de l’indulgence, il se livre, et on peut alors apercevoir en lui les germes d’une intelligence qui n’eût demandé qu’à être développée. Il fait beaucoup de questions, et parfois les réponses provoquent chez lui des réflexions très judicieuses ; il paraît sentir vivement son ignorance, quoique son caractère soit naturellement léger et inconstant. Mais ces défauts proviennent sans doute de l’éducation qu’il a reçue, et ses idées, constamment tournées vers des occupations futiles, ne se prêtent que rarement à des sujets sérieux. Les sociétés qu’il hante ne contribuent pas peu, d’ailleurs, à entretenir chez lui les habitudes de dissipation qu’il a contractées dans son enfance, et il se livre avec une déplorable facilité à l’influence des mauvais exemples. Il prit un jour, à bord des bâtimens baleiniers, un goût décidé pour les combats à coups de poing, et pendant longtemps les plaisirs du roi et des jeunes gens de sa cour consistèrent à boxer ; c’était là le passe-temps à la mode lors de notre arrivée. Mais nous étions appelés à faire diversion : dans ses visites à bord de la Bonite, il eut occasion de voir nos hommes faire des armes ; il n’en fallut pas davantage pour tourner ses idées vers cette nouvelle distraction. Pendant tout le temps de notre séjour, il fit constamment des armes, soit avec des hommes qu’à sa prière le commandant lui envoyait, soit avec ceux de nos matelots qui passaient près de sa maison : il les arrêtait, les faisait entrer, et là, déposant avec sa veste la dignité