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avec qui je me trouvais dans ce moment, il me fit comprendre qu’il y aurait, le lendemain, une grande revue des troupes et de la milice devant la maison du roi et m’engagea à y assister.

Je ne voulus pas manquer une si belle occasion de voir les forces militaires de sa majesté sandwichienne, et je fus exact au rendez-vous. Cent trente hommes, composant toute l’armée de ligne, étaient rangés sur trois files ; chaque homme était armé d’un fusil de fabrique anglaise ou américaine, sans baïonnette. Je ne chercherai pas à dépeindre leur costume, je n’en viendrais jamais à bout. J’aurais voulu voir là un de nos inspecteurs-généraux d’infanterie. Les uns avaient, sauf les reins couverts par le maro, le corps complètement nu ; d’autres portaient sur les épaules de larges pièces d’étoffe fièrement drapées à la romaine ; d’autres, enfin, avaient la tête et le corps en partie couverts de feuilles de cocotier ou de bananier découpées en festons.

Vis-à-vis la troupe de ligne, et rangée également sur trois rangs, se tenait la milice d’Honolulu ; il eût été difficile de la distinguer des troupes réglées, car le vêtement était absolument le même. Seulement, peu de miliciens avaient des fusils, et, à la manière dont ils se servaient de cette arme, il était aisé de voir que les leçons d’exercice qu’ils avaient reçues ne leur avaient pas été très profitables. Devant la porte du palais était rangée la maison du roi, consistant en onze hommes habillés uniformément de pantalons et de vestes de calicot blanc avec les revers et les paremens écarlates ; chaque homme était armé d’un fusil et d’une baïonnette ; c’était, sans contredit, l’élite de l’armée d’Oahou. Ils semblaient avoir le plus profond mépris pour les soldats de l’armée de ligne et de la milice, et à leur tête fièrement relevée, à leur tournure militaire, on voyait qu’ils avaient le sentiment de leur supériorité.

Un roulement de tambour annonça que l’exercice allait commencer. Un officier lut un long discours dont je ne compris pas un mot ; je sus ensuite que, plusieurs hommes ayant manqué à la dernière parade, l’éloquence de l’adjudant-major s’exerçait sur ce sujet. La parade commença ensuite, et certes, sans en excepter même la maison du roi, les soldats hawaiiens ne me parurent pas très habiles. Au reste, c’est là une science qu’ils apprendront toujours assez tôt. Il y a bien des choses beaucoup plus utiles que l’exercice du fusil qu’on aurait dû et pu leur montrer depuis long-temps, et dont ils n’ont pas encore la moindre idée. L’exercice était commandé en anglais ; le dernier commandement fut : À genoux ! déposez vos armes ! en prière ! L’adjudant lut alors une prière assez longue, la troupe se releva, et l’ordre fut donné de rompre les rangs.

Après la revue, le roi m’engagea à entrer dans sa maison ; c’est une vaste cabane ayant à l’intérieur une certaine apparence de propreté et même de luxe. Une seule pièce la compose ; de larges rideaux d’indienne, étendus dans toute la longueur, en divisaient une partie en trois compartimens ou chambres, tandis que l’autre partie formait un vaste salon. Un treillage très fin recouvrait les parois intérieures ; la charpente, faite d’un bois noir et dur, était liée par des cordes tressées et peintes de différentes couleurs ; des nattes très fines cou-