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danse si maigre et si monotone avait été loin de réaliser les idées que nous nous étions formées. Le chant et les chanteurs seuls nous parurent avoir conservé toute l’originalité des anciens temps. La scène, par elle-même, ne laissait pas néanmoins d’être assez pittoresque. Derrière nous, une cabane bâtie dans le style de l’architecture indigène ; autour de nous, une foule d’Indiens nus ou vêtus des costumes les plus bizarres ; devant nous ces chanteurs assis sur leurs nattes, avec leurs physionomies caractéristiques et leurs chants étranges ; à l’horizon la mer, et, au milieu de nous, un bosquet d’arbres verts et émaillés de fleurs : tout cela formait un coup d’œil ravissant qui exerça le crayon de nos artistes.

Autrefois les femmes aimaient passionnément ces jeux et ces danses publiques. Plusieurs femmes même de la famille royale avaient la réputation d’actrices consommées, car ce peuple avait jadis ses spectacles, et les membres seuls des familles distinguées paraissaient sur la scène. Aujourd’hui, ce goût a cédé aux conseils des missionnaires ; peut-être aussi la crainte de leur réprobation empêche-t-elle seule les femmes de se livrer à leurs anciennes habitudes ; toujours est-il que nous fûmes complètement privés de la société des dames de la famille de Kauikeaouli.

Le lendemain, le roi nous donna en ville une répétition de ce que nous avions vu la veille ; mais le prestige de la campagne et de la nouveauté manquait, et la soirée nous parut assez insipide. Cependant, il faut le dire, le roi fit de son mieux pour nous rendre le séjour d’Oahou agréable ; sa complaisance fut extrême, et sa bonne et bienveillante humeur ne se démentit pas un seul instant. Chaque fois que nous allâmes le voir, il nous fit toujours l’accueil le plus cordial et parut charmé de nous recevoir.

J’allai rendre visite avec M. Charlton à la sœur de Kauikeaouli, Nahiena-Heina ; je fus surpris quand M. Charlton m’assura que cette femme n’avait pas plus de vingt ans, elle me parut en avoir bien davantage ; il est vrai qu’elle relevait à peine d’une longue et cruelle maladie. Du reste, elle fut très gracieuse pour nous ; comme toutes les femmes distinguées du pays, elle est très grande, et doit être fort grasse dans son état ordinaire de santé. Nous admirâmes la petitesse et la forme gracieuse de ses pieds et de ses mains. Elle était entourée de ses femmes d’honneur, parmi lesquelles nous remarquâmes une fille de l’Anglais Young, qui, enlevé par Tamea-Mea d’un navire anglais à bord duquel il était maître, s’attacha à la fortune de ce conquérant et est mort à Oahou, il y a sept ou huit mois, à l’âge de 93 ans. Il a été enterré dans le tombeau des rois, et ses fils occupent aujourd’hui un rang très distingué dans le pays.

M. Charlton me conduisit aussi chez la maîtresse favorite de Kauikeaouli. L’histoire des amours du roi avec cette femme est presque romanesque. Il fut obligé de l’enlever, quoique vivant avec elle depuis plusieurs mois, tant était déjà devenue puissante l’influence des missionnaires dans ce pays, où, il y a vingt ans à peine, le nom de chrétien était presque inconnu. Cependant, malgré les sévères admonestations qui lui ont été faites, Kauikeaouli vit en con-