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LES ÎLES SANDWICH.

baleiniers qui viennent s’y ravitailler ou s’y réparer, y arrivent ordinairement en février et en novembre, et qu’on y compte quelquefois jusqu’à trente ou quarante bâtimens. La corvette américaine Peacock, à bord de laquelle le commodore Kennedy avait mis son broad pennant, était à l’ancre dans le port d’Honolulu, où se trouvaient aussi plusieurs bâtimens sandwichiens, parmi lesquels nous remarquâmes un brick de construction américaine qui sert de yacht au roi Kauikeaouli ; il porte le nom de Harrietta, sœur du roi, beaucoup plus connue sous son véritable nom de Nahiena Heina.

Un môle, assez bien construit en grosses poutres et rempli de pierres, facilita notre débarquement, et nous nous trouvâmes bientôt dans la capitale des îles Sandwich. Nous fûmes immédiatement entourés et escortés de cette population oisive que nous avions rencontrée partout, et que la civilisation n’a pas encore trouvé le moyen d’occuper ; elle était, comme à Owhyhee, couverte de haillons et de gale ; mais c’était un spectacle auquel nous étions habitués et qui ne nous surprit pas. La population d’Honolulu avait toutefois une apparence de propreté plus générale que celle d’Owhyhee, mais il s’y joignait quelque chose de plus repoussant que dans cette dernière île ; les hommes paraissaient plus fins, mais aussi plus fourbes, et le vice semblait avoir marqué les femmes au front. J’entre dans ces détails, parce que je parle d’un peuple qui, il y a à peine soixante ans, n’avait jamais eu de contact avec les nations européennes : on doit trouver quelque intérêt à voir les altérations morales et physiques que ce même peuple a éprouvées, altérations qui, laissant subsister l’ancienne physionomie du pays en regard de sa physionomie actuelle, ouvrent un champ vaste et fertile à l’observation.

La ville d’Honolulu ne nous parut pas séduisante, vue de près. Les maisons qui bordent le quai sont tout simplement des cabanes bâties dans l’ancien style du pays. Nous en vîmes sortir une foule de femmes et d’enfans déguenillés qui accouraient pour nous voir passer. Nous laissâmes à notre droite le fort, dont les murailles blanches ressortaient au milieu des toits de chaume dont il est entouré ; et, en pénétrant dans l’intérieur de la ville, nous pûmes reconnaître quelques jolies habitations européennes, des rues assez larges et presque alignées, des places publiques, enfin des jardins assez bien entretenus

Les contrastes que nous avions souvent sous les yeux ne laissèrent pas que de nous intéresser vivement. Ce mélange continuel de civilisation et de barbarie produisait un singulier effet. Ici passait un léger cabriolet dans lequel nous distinguions un gentleman et une dame dont le teint n’annonçait pas qu’elle fût née sous le climat des îles Sandwich ; plus loin, un naturel tout nu, n’ayant qu’un manteau d’étoffe du pays attaché par un nœud sur l’épaule droite, montait sans selle un cheval fougueux qu’il maniait habilement ; là, des enfans blancs vêtus à l’européenne, avec la blouse brodée et le pantalon de percale, jouaient dans une cour, et auprès d’eux reluisait au soleil la peau nue et bronzée d’enfans du pays, qui n’avaient pour tout vêtement que l’indispensable maro ; ici, de vastes magasins offraient aux yeux les produits de l’industrie européenne, et à la porte un Indien, habillé et couronné de feuilles