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nous avions jeté l’ancre en dehors des brisans qui forment le port d’Honolulu, et ne laissent qu’une étroite entrée aux navires qui veulent y pénétrer. L’aspect de l’île d’Oahou est plus riant que celui d’Owhyhee ; la terre y est plus découpée, moins imposante peut-être, mais plus variée, plus verte, plus pittoresque. La ville d’Honolulu est située au bord de la mer, au milieu d’une riche vallée qui peut avoir deux milles de large et cinq à six milles de long. Nous pouvions apercevoir, derrière la ville et sur le versant des collines, de nombreuses plantations de taro ; la ville elle-même se présentait à nous avec un certain air européen. À droite du port, un fort blanchi à la chaux nous laissait voir à travers ses embrasures une trentaine de canons de tous les calibres, dont les extrémités, peintes en rouge, n’avaient rien de bien menaçant. Au milieu de la masse peu compacte des maisons, s’élevaient quelques miradores, des clochers et des cocotiers. Nous découvrions au loin de blanches façades, des balcons verts, des toits bâtis à l’européenne, et, dans un horizon assez rapproché, les vertes collines qui couvrent la baie. Sur notre droite étaient deux cratères affaissés dont l’un a reçu des Anglais le nom de Punch Bowl (bol de punch) ; la crête en est comme dentelée, et forme des embrasures où l’on a placé des canons de très gros calibre. À droite et à gauche du port s’étendent des bancs de rochers sur lesquels la mer brise avec force, et qui restent presque entièrement à découvert à marée basse, laissant entre eux un passage de 70 à 80 toises : c’est là l’entrée du port. Sur ces bancs nous pouvions apercevoir une foule de naturels s’avançant presque sous les brisans, et se baignant ou pêchant des poissons et des coquillages.

Notre arrivée, nous l’apprîmes depuis, avait porté l’alarme au sein du gouvernement des îles Sandwich. On croyait que nous venions demander satisfaction du renvoi arbitraire des missionnaires catholiques français. À peine avions-nous jeté l’ancre, que le secrétaire du roi, accompagné du consul américain et de l’éditeur de la Gazette d’Oahou, était à bord, sous prétexte d’offrir ses services au commandant, mais bien plutôt pour connaître le but réel de notre arrivée ; aussi, lorsqu’il sut que notre mission était toute pacifique, ses traits, soucieux au moment de son arrivée, prirent-ils une expression rayonnante.

Peu de pirogues quittèrent la terre pour venir nous visiter ; il était aisé de voir que l’arrivée d’un grand bâtiment et même d’un bâtiment de guerre n’est plus chose nouvelle à Honolulu. Nous remarquions déjà une grande différence dans les vêtemens et les manières des naturels ; le secrétaire du roi portait une redingote et une casquette d’uniforme ; un ruban noir passé en bandoulière soutenait sa montre, et sa chemise de batiste brodée avait tout-à-fait bonne mine. Honolulu est, en effet, devenu le siège fixe du gouvernement des îles Sandwich ; c’est l’entrepôt du commerce de tout le pays. Nous pûmes nous en convaincre, lorsqu’en arrivant au port, nous vîmes, au mouillage, plusieurs trois-mâts anglais et américains, déchargeant leurs cargaisons ou prenant à leur bord des produits du pays. Nous étions, cependant, dans la saison où le port est le plus dégarni de bâtimens ; nous sûmes depuis que les