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LES ÎLES SANDWICH.

nous exagéra même, je le crois, les dangers et les obstacles que nous rencontrerions. Cette dernière considération ne pouvait avoir la moindre influence sur la détermination que ces messieurs avaient à prendre ; mais le temps leur manqua, les jours de notre relâche à Owhyhee étaient comptés, deux mois seulement nous restaient pour nous rendre à Manille ; nous avions à visiter l’île d’Oahou, résidence du roi ; les chances ordinaires de la mer pouvaient rendre notre traversée beaucoup plus longue que nous ne le pensions : force fut donc d’abandonner notre beau projet. Nos jeunes officiers, et surtout M. Gaudichaud, botaniste de l’expédition, le regrettèrent vivement. En effet, je suis certain que l’exploration du Mouna-Roa aurait produit des résultats utiles, et que l’histoire naturelle, par les soins de MM. Eydoux et Gaudichaud, se serait enrichie d’un grand nombre de découvertes intéressantes. Comme les neiges de la cime du Mouna-Roa et ce fameux cratère éteint, dont la circonférence, nous dit-on, est de 25 milles, avaient été depuis long-temps l’objet de nos conversations et le but de nos désirs, nous déplorâmes tous la nécessité du sacrifice.

Vue du large, l’île d’Owhyhee est on ne peut plus pittoresque ; la côte est très accidentée, et le sol paraît couvert partout de la plus riche végétation ; mais la partie est et nord de l’île est beaucoup plus fertile et plus riante que celle que nous venions de visiter, laquelle manque presque entièrement d’eau courante. Les habitans de la baie de Ke-ara-Kakoua sont obligés d’aller chercher leur eau à cinq ou six milles ; aussi ne boivent-ils que de l’eau presque salée. Les habitans du village supérieur ont l’eau beaucoup plus près, et d’ailleurs, les pluies y étant plus abondantes, ils peuvent facilement conserver des eaux pluviales. Il serait aisé, au moyen de canaux, de conduire l’eau de la montagne jusqu’au bord de la mer, la pente très inclinée du terrain s’y prêterait volontiers ; mais il se passera bien du temps encore avant que la population de cette île soit en état d’exécuter un travail de cette nature. Les parties est et nord de l’île sont parfaitement arrosées ; plusieurs torrens les traversent, et plusieurs lacs d’eau douce servent comme de réservoirs pour les inondations régulières des champs de taro ; cette partie de l’île est beaucoup plus peuplée que celle que nous avons vue, le climat y est aussi meilleur. C’est dans l’est de l’île que s’élève le fameux volcan du Mouna-Kaa, dont les fréquentes éruptions tiennent les habitans dans un état continuel d’épouvante ; c’est la demeure de la déesse Pele. Les traditions qui se rattachent à cette divinité des îles Sandwich ont été reproduites d’une manière si pittoresque par M. Dumont d’Urville dans son Voyage autour du monde, que je ne pourrais qu’affaiblir le tableau poétique qu’en fait ce navigateur en cherchant à les retracer.

Le 6 octobre, nous levâmes l’ancre, et à midi nous étions par le travers de Kailoua, résidence du gouverneur, où Kouakini nous avait précédés ; la corvette mit en travers et nous descendîmes à terre. Comme nous n’avions que trois ou quatre heures à y passer, nous voulûmes voir tout ce qui méritait d’être vu. Nous allâmes d’abord visiter l’église, qui n’est pas encore achevée.