Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 19.djvu/288

Cette page a été validée par deux contributeurs.
284
REVUE DES DEUX MONDES.

pour entretenir la situation la plus critique du monde, et pour porter une politique désintéressée au milieu de cinq puissances, les unes armées, les autres déjà en état de guerre pour les plus grands intérêts. La pensée de M. de Carné est très juste, très noble, très française, très haute ; mais elle ne s’accomplira pas. La France fera hardiment et valeureusement le modeste métier de constable. Elle répandra ses trésors et le sang de ses marins, s’il le faut, pour arrêter la guerre de l’Égypte et de la Turquie. Si elle réussit à l’empêcher, elle aura noblement contribué à laisser mûrir les combinaisons politiques et mercantiles de l’Angleterre et de la Russie. Si la France échoue, elle se mettra, nous le craignons du moins, à la suite d’intérêts qui ne sont pas les siens ; mais quant à se prononcer, la France ne le fera pas, et M. de Carné le sait mieux que nous. Nous pensons toutefois que M. de Carné n’a pas voulu dire que la France devait se prononcer hautement, faire de sa politique extérieure un manifeste, et devancer les évènemens, mais avoir un parti arrêté dans ses conseils, et diriger toutes ses démarches vers le but de ses desseins. Et c’est encore à cela que nous répondons, en disant qu’à notre sens la France est sans desseins dans ce moment en Orient, et qu’elle improvise chaque jour sa politique en présence de cabinets prudens et habiles, qui ont leur thème fait depuis long-temps. Nous voudrions voir démentir nos assertions par les évènemens, et nous ferions avec joie amende honorable au présent ministère, si nous l’avions méconnu en ce point. Malheureusement, en voyant la composition du cabinet, et particulièrement la direction actuelle du département des affaires étrangères, l’Europe entière s’est trouvée de notre opinion, et elle ne s’étonnera pas de voir la question d’Orient se terminer comme l’a indiqué si énergiquement M. de Carné : le blocus maritime de l’Égypte et son protectorat par l’Angleterre répondront au blocus maritime de Constantinople et au protectorat de la Turquie par la Russie.

Nous ne voulons pas rentrer dans une discussion déjà ancienne, puisqu’elle date de dix jours ; mais il nous semble qu’on n’a pas accordé dans le public assez d’attention au discours prononcé par M. Denis. Ce discours, plein de faits substantiels, eût été plus goûté dans le public anglais et dans le parlement d’Angleterre ; mais, en France, on s’attache aux généralités, et, en politique surtout, on ne veut procéder que par grands effets. Nous nous arrêtons moins aux conclusions politiques de M. Denis qu’aux renseignemens importans que renferme son discours. M. Denis a cru voir dans le discours de M. de Carné la proposition de créer un empire arabe, tandis qu’au fond M. de Carné proposait de soustraire, d’une manière ou d’autre, l’Égypte à l’Angleterre, qui a résolu de s’en emparer dès que les évènemens la favoriseront. Quant à la conclusion matérielle de M. Denis, elle est parfaitement juste et motivée par les plus exactes observations. Elle consiste à modifier le projet du gouvernement, qui décèle, en effet, ou l’incertitude dans laquelle nous le croyons plongé, ou la faiblesse et l’impuissance. La chambre devait donc voter les fonds nécessaires pour tenir dix-huit vaisseaux sur les côtes de l’Asie mineure, et l’orateur ajoutait que le nombre des vaisseaux de haut bord