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est arrivée à bien plus d’abaissement encore et a perdu presque toute puissance sur les affaires et la littérature. L’influence est venue presque exclusivement aux recueils périodiques, comme l’Edinburgh-Review et le Quarterly-Review, que les hommes d’état et les écrivains de talent appuient ouvertement de leurs travaux, tandis qu’ils se défendraient de prendre part à ces journaux quotidiens qui ne sont plus, pour la plupart, que des feuilles de nouvelles politiques chèrement achetées et d’annonces chèrement payées.

Le mal est très loin d’en être arrivé en France à ce degré. Si l’on n’en croyait cependant que le dernier et répugnant écrit de M. de Balzac : Un Grand homme de Province à Paris, les bureaux de journaux seraient exclusivement des ateliers d’industrie sans moralité et sans talent, des espèces de bagnes littéraires. Mais c’est là une caricature tout aussi éloignée de la vérité que le serait la description du cabinet de tel romancier moins préoccupé de l’argent que de l’art, et des échéances de son libraire que de la correction de son style. D’ailleurs, la plaie n’est pas dans les petits journaux, comme le dit M. de Balzac. Personne ne prend au sérieux les articles des petits journaux, non plus que les nouvelles qu’y insère M. de Balzac. Au point de vue littéraire, le mal est ailleurs, il est dans la presse quotidienne, là où M. de Balzac a autant contribué que personne à l’introduire et à l’invétérer. L’auteur d’Éugénie Grandet accuse les feuilletons d’étouffer le talent, tandis qu’il faudrait les accuser de fomenter la médiocrité qui les choie ; il leur reproche de nuire plus à la vraie littérature que ne nuit la contrefaçon belge à la librairie. La littérature, je le crains, est de trop en cette affaire, et il ne doit être question que d’industrie. Qui a tué, en effet, dans les journaux, la critique littéraire, pour y substituer les réclames et les éloges payés ? N’est-ce pas l’industrie ? Et pourrait-il en être autrement ? Les journaux ont une partie d’annonces, partie ouvertement mercantile et commerciale ? Comment veut-on, en ce temps d’argent, que l’annonce ne passe pas de la quatrième page des journaux sur la première ? La distance est si courte à franchir, et l’industrie va si vite, même quand il ne s’agit pas de la vapeur et des chemins de fer !

Il y a d’autres causes encore à l’abaissement où est tombée la littérature des journaux quotidiens, et M. de Balzac les connaît mieux que personne. Toutefois il n’en parle pas dans son livre. Qui ne sait pourtant ce que sont les articles de camaraderie et de complaisance, lesquels ont dégoûté le public de la critique, et ont amené ces nouvelles brisées, ces romans hâtés, sans plan, sans style, sans élévation, sans talent, et dont Un Grand homme de Province à Paris est un triste et trop convaincant exemple. M. de Balzac ignore-t-il aussi qu’on impose des éloges pour des nouvelles, et que le roman en feuilletons trouve là une espèce d’assurance contre la critique ? Ne criez donc pas tant à propos du journalisme ; si la presse avait fait son devoir à votre sujet, vous seriez peut être devenu un bon romancier ; elle vous a laissé faire, elle vous a laissé perdre le sentiment de l’art, de la vraie littérature, de la sobriété digne, de la tenue de l’écrivain ; elle a accepté vos productions morcelées, écrites au jour le jour, en même temps et selon le hasard d’une verve épuisée. Les journaux dont