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D’autres fois c’étaient les maîtres eux-mêmes qui se présentaient en justice pour leurs colons. Ainsi un seigneur réclamait, devant le tribunal des commissaires royaux, le serf que son colon avait acheté. Si le colon dépendait d’un monastère, l’action en revendication était exercée par l’abbé ou par son avoué[1].

Les colons servaient de témoins dans les transactions, et remplissaient certains offices subalternes et d’économie rurale, tels que ceux de maire, de doyen, de messier. Enfin les colons et les serfs des fiscs royaux et des églises prêtaient serment de fidélité au roi, s’ils étaient honorés de quelques bénéfices ou de quelques emplois du genre de ceux dont nous venons de parler, ou s’ils remplissaient quelque charge dans la maison ou auprès de la personne de leur maître, et s’ils pouvaient avoir des chevaux et des armes, telles qu’un bouclier, une lance, une épée longue ou une épée courte[2].

De même que le colon jouissait de la liberté, mais d’une liberté imparfaite, de même il avait la jouissance du droit de propriété, mais d’un droit restreint et conditionnel : néanmoins il était capable de posséder et d’acquérir à titre perpétuel et héréditaire. Sa tenure étant devenue comme une espèce de fief infime, grevé de charges onéreuses et avilissantes, soumis en général à la loi des fiefs, il se trouva lui-même sur l’échelle féodale, à la vérité sur le plus bas échelon. Il pouvait aussi disposer à son gré de ce qui lui appartenait en propre. Un colon du comté de Brioude ayant laissé, en mourant, à l’église de Brioude les vignes et les autres biens qu’il avait acquis de ses propres deniers, Charles-le-Chauve confirma cette disposition, soit pour la rendre valable, soit plutôt pour empêcher qu’elle ne fût violée.

Quelquefois même les colons démembraient leurs tenures et vendaient les terres pour ne se réserver que les bâtimens. Un édit du même roi proscrivit cet abus. Déjà Charlemagne leur avait défendu de faire aucune vente ou donation à des personnes d’une seigneurie étrangère[3].

Il y avait donc pour les colons, comme pour les hommes libres, différentes manières d’acquérir et de posséder, ainsi qu’on l’observe surtout dans le polyptyque d’Irminon. D’abord ils possédaient leurs fonds colonaires à titre de fermiers héréditaires et perpétuels ; en-

  1. Marculf., Append. 3 et 6.
  2. Capitul. Pipp. reg. Ital., circa an. 793, c. 36, dans Baluze, tom. I, col. 541.
  3. Edict. Pist., an. 863, c. 30. — Capital. III, an. 803, c. 10.