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RECHERCHES HISTORIQUES.

dans ce cas, ils avaient la faculté de se racheter en remboursant leur prix de vente augmenté d’un cinquième. Souvent aussi, dans l’impossibilité d’acquitter leurs dettes ou d’autres obligations, ils s’engageaient par un acte, appelé obnoxiatio, à servir, soit à perpétuité, soit indéfiniment, jusqu’à ce qu’ils se fussent libérés, soit pour un temps fixé d’avance, après lequel ils redevenaient libres comme auparavant[1].

Il résulte de ce qui précède que l’état de liberté était loin d’offrir les mêmes droits et les mêmes avantages à tous ceux qui en jouissaient. Il paraît d’ailleurs constant qu’en général on était d’autant plus libre qu’on était plus fort, et que plus on avait de richesse ou de puissance, plus on était ménagé non seulement par le souverain et par le magistrat, mais encore par la loi. Dans tous les cas, la condition de la terre était indépendante de la condition de la personne qui l’occupait, et réciproquement[2], de sorte que les terres entièrement franches pouvaient être occupées par les personnes d’une condition plus ou moins servile, et les hommes libres pouvaient habiter et posséder les terres plus ou moins grevées de redevances et de services.

Le nombre des hommes libres en France, avant l’institution des communes, alla toujours en augmentant ou en diminuant, suivant l’idée qu’on attache à ce nom. Si l’on entend par liberté l’état des personnes qui n’étaient ni des vassaux, ni des colons, ni des serfs, les hommes libres, qui, dans ce cas, ne sont autres que les hommes indépendans, furent toujours de moins en moins nombreux, et finirent par disparaître à peu près entièrement au Xe siècle ; alors presque tout ce qui habitait en France était l’homme de quelqu’un, quoiqu’à des conditions fort différentes. Mais si l’on entend généralement par libres tous ceux qui n’étaient pas serfs, la classe des hommes libres se grossit continuellement[3] sous l’influence et sous la protection de la religion chrétienne, qui attaqua la servitude dans son principe, et qui, en la combattant sans relâche, finit par en délivrer la plus grande partie de l’Europe.

  1. Carol. C. edict. Pist., an. 864, c. 34. — Greg. Turon., VII, 45. — Marculf., ii, 28 ; — Append., 16 et 58.
  2. Decret. Childeb. II, circa an. 595, cap. VIII. — Voy. Houard, Anciennes lois des François, tom. I, pag. 252.
  3. M. Jacques Grimm conjecture qu’au Xe siècle la moitié au moins de la population en Allemagne ne jouissait pas de la liberté. (Antiq. du Droit germanique, l. I, chap. IV, B. 9, p. g. 331, en allemand.)